(Bruxelles) L’UE réclame au laboratoire AstraZeneca de recourir à la production d’usines situées au Royaume-Uni pour fournir les doses de son vaccin anti-COVID-19 promises aux vingt-sept, afin de limiter ses retards de livraisons, mais au risque d’entrer en concurrence avec les injonctions de Londres.

Le laboratoire suédo-britannique, qui avait argué la semaine dernière d’une « baisse de rendement » sur un site de fabrication européen, ne pourrait livrer qu’« un quart » des doses initialement promises à l’UE au premier trimestre, selon une source européenne.

400 millions de doses

Or Bruxelles, qui a précommandé jusqu’à 400 millions de doses du vaccin AstraZeneca/Oxford, n’est pas convaincu par les justifications avancées, et a ordonné une inspection sur le site belge concerné.

Et la Commission européenne fulmine contre les explications fournies par le PDG du laboratoire, le Français Pascal Soriot, dans un entretien accordé mardi à plusieurs quotidiens européens.

Selon lui, le contrat signé entre AstraZeneca et Londres en juin 2020, trois mois avant l’accord avec l’UE, stipule que la production « issue de la chaîne d’approvisionnement britannique irait d’abord au Royaume-Uni ».

Or, rappelait mercredi une responsable européenne, aux termes du contrat conclu par l’UE, AstraZeneca devait recourir à quatre usines pour assurer sa production : deux dans l’UE dont une en Belgique, et deux au Royaume-Uni.

Il n’a jamais été question que ces deux usines (britanniques) soient au second plan ou en réserve.

La Commissaire européenne à la Santé, Stella Kyriakides

« Laissez-moi être claire : il n’y a pas de hiérarchie de ces usines dans le contrat, aucune différenciation […] Les usines britanniques font partie du contrat de précommandes, elles doivent fournir » les doses attendues, a martelé devant la presse la Commissaire européenne à la Santé, Stella Kyriakides.

Londres a de son côté rappelé attendre du laboratoire qu’il respecte son engagement de fournir 2 millions de doses hebdomadaires au Royaume-Uni.

« Nous sommes très confiants dans nos approvisionnements, dans nos contrats, et nous allons de l’avant sur cette base », a commenté le premier ministre britannique Boris Johnson.  

Le Royaume-Uni a déjà vacciné environ 10 % de sa population, contre cinq fois moins pour l’UE.

« Manque de clarté »

Déjà à cran après des difficultés d’acheminement du vaccin produit par Pfizer-BioNTech, le premier déployé dans l’UE, Bruxelles juge « inacceptable » le nouveau calendrier d’AstraZeneca.

Et ce d’autant que la Commission lui avait alloué 336 millions d’euros (519 millions de dollars canadiens) pour développer son vaccin et accroître ses capacités de production, même si l’intégralité de la somme n’a pas été versée, s’agace la responsable européenne.

« Le souci, c’est que nous n’avons aucune visibilité », et comme les autres usines du groupe, censées pouvoir produire également les doses destinées à l’UE, ne sont pas affectées, « les explications (du groupe) manquent de consistance », affirme-t-elle.

Après s’être expliqué à deux reprises lundi devant les États membres et la Commission européenne, AstraZeneca était convoqué mercredi soir pour une nouvelle réunion : après une grande incertitude sur sa participation, il y a finalement été représenté par son PDG Pascal Soriot en personne.

« Nous avons eu une discussion constructive et ouverte […] Nous nous sommes engagés à une coordination plus étroite afin de déterminer ensemble une voie pour les livraisons des prochains mois », a assuré un porte-parole du laboratoire, rappelant qu’il fournissait ses vaccins « sans en tirer profit ».

Stella Kyriakides, elle, a salué un « ton constructif », mais a déploré dans un tweet « le manque continu de clarté sur le calendrier de livraison », appelant le groupe à honorer ses « obligations contractuelles ».

Inspection dans l’usine belge

À la demande de la Commission, des experts du régulateur sanitaire belge ont par ailleurs inspecté mercredi l’usine d’AstraZeneca à Seneffe (sud de la Belgique), a rapporté l’agence Belga.

Leur objectif était de « s’assurer que le retard de livraison était bien dû à un problème de production » sur le site, et leur rapport sera rendu d’ici « quelques jours », précise-t-elle.

Pour Pascal Soriot, les difficultés de « rendement » rencontrées s’expliquent par le retard pris par des partenaires du groupe devant « apprendre » le processus de production.

Dans l’interview de mardi, il insistait par ailleurs : « Nous ne sommes aucunement engagés auprès de l’UE […] Ce n’est pas un engagement contractuel. On a dit : on fera de notre mieux, sans garantie de réussir ».

Des propos qui font bondir à Bruxelles : « Le contrat prévoit l’existence de capacités de production supplémentaires » réparties sur plusieurs sites, insiste un responsable européen.

L’UE appelle AstraZeneca à donner son autorisation pour rendre public le contrat signé.