(Varsovie) Tova Friedman s’est cachée parmi les cadavres à Auschwitz, dans le chaos des derniers jours du camp de la mort.

Elle n’avait que six ans à ce moment. Comme sa mère le lui avait demandé, la petite Polonaise est restée immobile dans un lit d’un hôpital du camp, à côté du corps d’une jeune femme qui venait de mourir. Alors que les forces allemandes s’apprêtaient à fuir le site du génocide, allant de lit en lit pour exécuter ceux qui vivaient encore, Mme Friedman, cachée sous un drap, est passée inaperçue.

Quelques jours plus tard, le 27 janvier 1945, elle comptait parmi les milliers de survivants qui ont accueilli les troupes soviétiques venues libérer le camp dans ce secteur de la Pologne occupé par les nazis.

Maintenant âgée de 82 ans, Mme Friedman espérait commémorer la libération du camp en emmenant ses huit petits-enfants au site commémoratif d’Auschwitz-Birkenau, dont l’État polonais est responsable. La pandémie de coronavirus l’en a empêchée.

Mme Friedman sera plutôt seule chez elle à Highland Park, dans l’État du New Jersey, à l’occasion de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste. Sa mise en garde face à la montée de la haine fera partie de l’évènement virtuel organisé par le Congrès juif mondial.

À travers l’Europe, le souvenir des victimes a été salué de différentes façons.

En Autriche et en Slovaquie, des centaines de survivants ont reçu leur première dose du vaccin contre le coronavirus, un geste tout aussi symbolique que crucial face à la menace que représente le virus pour les aînés.

En Israël, un millier de survivants de l’Holocauste se trouvaient parmi les 5300 personnes fauchées par le virus l’an dernier, a indiqué mardi l’agence statistique du pays.

Le pape François a prévenu depuis le Vatican que des idéologies tordues peuvent « éventuellement détruire un peuple et l’humanité ». Pendant ce temps, le Luxembourg a signé un accord pour verser des réparations aux survivants de l’Holocauste, leur restituer des biens volés, et restaurer des comptes bancaires et des polices d’assurance tombées dans l’oubli.

Des institutions de partout dans le monde — dont le musée commémoratif d’Auschwitz-Birkenau en Pologne, Yad Vashem en Israël et le Musée de l’Holocauste de Montréal — organisent des évènements en ligne. Les présidents d’Israël, de l’Allemagne et de la Pologne doivent prendre la parole.

Les commémorations virtuelles de cette année seront radicalement différentes de celles de l’an dernier, quand Mme Friedman, des centaines d’autres survivants et des leaders européens s’étaient réunis sur le site de l’ancien camp à l’occasion du 75e anniversaire de sa libération. Cela fut l’une des dernières grandes rencontres internationales avant que la pandémie ne paralyse la planète.

Les survivants de l’Holocauste de partout dans le monde sont plus isolés que jamais par la pandémie. Mme Friedman, qui a perdu son mari en mars dernier, dit ne s’être jamais sentie aussi seule.

Mais les survivants comme elle tissent aussi de nouveaux liens sur Zoom : le patron du Congrès mondial juif, Ronald Lauder, a organisé des rencontres vidéos pour les survivants et leurs descendants pendant la pandémie.

Les Allemands et leurs sbires ont tué plus de 1,1 million de personnes à Auschwitz, le plus tristement célèbre maillon d’une chaine de camps et de ghettos consacrée à l’élimination des Juifs de l’Europe. La vaste majorité de ceux qui ont perdu la vie à Auschwitz étaient des Juifs, mais des Polonais, des Roms et des prisonniers de guerre soviétiques y ont aussi massacrés en grands nombres.

Au total, quelque six millions de Juifs européens et des millions d’autres personnes ont été tués par les Allemands et leurs alliés. En 2005, les Nations unies ont fait du 27 janvier la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, une reconnaissance du statut particulier d’Auschwitz.

Si les évènements commémoratifs sont organisés en ligne pour la première fois, une chose ne change pas : la détermination des survivants à raconter leur histoire pour mettre le monde en garde.

Rose Schindler, une Tchèque de 91 ans qui a survécu à Auschwitz et habite aujourd’hui à San Diego, en Californie, raconte son expérience à des jeunes du secondaire depuis 50 ans. Son histoire et celle de feu son mari Max, lui aussi un survivant, est narrée dans le livre « Two Who Survived : Keeping Hope Alive While Surviving the Holocaust ».

Après son arrivée à Auschwitz en 1944, Mme Schindler a été choisie pour mourir dans les chambres à gaz à plus d’une reprise. Elle a échappé à la mort chaque fois en se joignant à des groupes de travail.

Les horreurs dont elle a été témoin à Auschwitz — les meurtres de ses parents et de quatre de ses frères et sœurs, la faim, les infestations de poux — sont difficiles à raconter, mais elle continue à s’adresser à des groupes, ces derniers mois par Zoom.

« On doit raconter nos histoires pour que ça ne se reproduise pas, a-t-elle dit à l’Associated Press lundi, lors d’une conversation sur Zoom. Ce que nous avons vécu est incroyable, et le monde entier a gardé le silence pendant que ça se produisait. »

Mme Friedman croit qu’il lui revient de « sonner l’alarme » concernant la montée de l’antisémitisme et de la haine à travers le monde, « sinon une autre tragédie pourrait survenir ».

Cette haine, ajoute-t-elle, était bien en évidence quand une foule en colère agitée par le président Donald Trump a attaqué le Capitole des États-Unis le 6 janvier. Les vêtements de certains émeutiers portaient des slogans antisémites comme « Camp Auschwitz » et « 6MWE » (« 6 million wasn’t enough », ou « Six millions n’ont pas suffi »).

« C’était complètement choquant et je n’arrivais pas à y croire », a-t-elle dit lundi.

Dans son message qui sera diffusé mercredi, Mme Friedman compare le virus de la haine à la COVID-19. Elle prévient que le monde est confronté « à un virus d’antisémitisme, de racisme, et si vous ne l’exterminez pas, il va tuer l’humanité ».