(Moscou) Les condamnations internationales visant la Russie se multipliaient mercredi après la dissolution de l’ONG Mémorial, pilier de la défense des droits humains et gardien de la mémoire des millions de victimes des crimes de l’URSS.

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), à laquelle est théoriquement soumise la Russie en qualité de membre du Conseil de l’Europe, a demandé au gouvernement russe de « suspendre » cette dissolution le temps d’étudier une procédure d’urgence envoyée par l’ONG à la Cour.

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a dénoncé une « persécution », tandis que la cheffe de la diplomatie britannique, Liz Truss, a évoqué un « coup effrayant » porté à la liberté d’expression en Russie.

Ces deux derniers jours, la justice russe a ordonné coup sur coup la dissolution de la structure centrale de l’ONG, puis celle de son Centre pour les droits humains, prononcée mercredi par un tribunal de Moscou, en pleine vague de répression des critiques du Kremlin.

Cette interdiction concerne la structure de l’ONG enquêtant sur des violations dans la Russie contemporaine, notamment celles visant les opposants au pouvoir de Vladimir Poutine, les migrants ou les minorités sexuelles.  

La Cour suprême avait banni mardi l’entité centrale de l’ONG, Mémorial International, et ses filiales qui se focalisent, elles, sur la documentation des répressions soviétiques.

Le Centre pour les droits humains de Mémorial a été dissous pour avoir enfreint une loi controversée sur les « agents de l’étranger » et avoir fait l’apologie du « terrorisme » et de l’« extrémisme », des accusations que l’ONG rejette.

Son directeur, Alexandre Tcherkassov, a dénoncé une décision « politique » et juré que l’organisation continuerait de travailler « d’une manière ou d’une autre ».

Malgré le froid glacial, plusieurs dizaines de personnes s’étaient rassemblées devant le tribunal pour exprimer leur soutien à la plus ancienne ONG de Russie, fondée en 1989, au crépuscule de l’URSS.

Sa dissolution est une « décision honteuse » qui illustre l’« effondrement de l’ensemble du système judiciaire », s’est indigné Elena Ponomariova, une sympathisante venue au tribunal.

Année de répression

La dissolution de l’ONG, très respectée en Occident, a suscité une vague de protestations à travers le monde.

Le Bureau des droits de l’homme des Nations unies a regretté mercredi des décisions qui « affaiblissent encore davantage la communauté en déclin des droits de l’Homme » en Russie. L’ONG Amnistie internationale a qualifié de « bidon » les accusations visant Mémorial.

Les dissolutions prononcées mardi et mercredi s’inscrivent dans un contexte de répression débridée contre ceux qui sont perçus comme des critiques du président Vladimir Poutine.

L’année 2021 a été marquée par l’emprisonnement du principal adversaire du Kremlin, Alexeï Navalny, puis l’interdiction de son mouvement pour « extrémisme », mais aussi la désignation de nombreuses ONG, médias indépendants ou simples individus sous l’appellation d’« agents de l’étranger ».

Cette qualification, qui rappelle celle d’« ennemi du peuple » à l’époque stalinienne, contraint les personnes ou entités visées à se soumettre à de fastidieuses démarches administratives et à mentionner ce statut dans chacune de leurs publications.  

C’est justement parce qu’elles reprochaient à Mémorial et à son Centre des droits humains d’avoir manqué à cette dernière obligation dans certaines publications que les autorités ont obtenu leur dissolution.

Le Centre était par ailleurs accusé d’avoir fait l’apologie du « terrorisme » et de l’« extrémisme » en publiant une liste de prisonniers contenant les membres de groupes religieux ou politiques interdits en Russie.

Récemment, Mémorial avait aussi dénoncé l’emprisonnement d’Alexeï Navalny, victime en 2020 d’un empoisonnement dont il tient le Kremlin pour responsable.

Fondée par des dissidents soviétiques, dont le prix Nobel de la Paix Andreï Sakharov, Mémorial s’était initialement donné pour mission de faire la lumière sur les crimes de l’Union soviétique contre son peuple.  Après la fin de l’URSS, elle s’est également engagée dans la défense des droits humains.  

Lors des deux guerres de Tchétchénie, elle s’est illustrée en enquêtant sur les exactions des forces russes et leurs alliés tchétchènes.  

En 2009, Natalia Estemirova, responsable de Mémorial dans cette région du Caucase, avait été assassinée. Le crime n’a jamais été élucidé.

Les partisans de l’ONG considèrent que le pouvoir se débarrasse de Mémorial pour faire taire ses dénonciations, mais aussi pour passer sous silence l’histoire des répressions soviétiques et leurs millions de victimes, au profit de la célébration exclusive de la victoire de l’URSS dans la Seconde guerre mondiale.