Face à la vague de féminicides qui secoue le pays depuis un an, l’opposition et des groupes féministes pressent le gouvernement d’adopter des mesures fortes

Poignardée parce qu’elle voulait divorcer. Poussée en bas d’une falaise parce qu’elle se moquait de lui. Étranglée à la suite d’une dispute conjugale. Abattue à bout portant dans une taverne par son ex. Tuée dans une boulangerie par son mari…

La déferlante des féminicides n’épargne pas la Grèce.

Depuis un an, les autorités ont recensé 17 meurtres de ce genre, soit plus d’un par mois. La semaine dernière seulement, deux femmes ont été tuées par leur mari, provoquant une onde de choc dans le pays et une manifestation vendredi à Athènes.

Le phénomène n’est pas nouveau. Mais comme partout dans le monde, il est en hausse en Grèce depuis le confinement dû à la COVID-19. Devant cette spectaculaire série de crimes à caractère « conjugal », le pays commence à prendre la chose très au sérieux.

PHOTO LOUISA GOULIAMAKI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La porte d’Hadrien, à Athènes, illuminée en orange dans le cadre d’une campagne contre la violence sexiste à l’occasion de la Journée des droits de l’homme, le 10 décembre

« Avant, ces meurtres étaient considérés comme des faits divers », résume Maria Stratigaki, directrice du programme Genre, société, politiques de l’Université Panteion. « La différence aujourd’hui, c’est que les féminicides sont à la une des médias grand public. En un sens, le confinement a aidé à les rendre plus visibles. Si bien qu’en Grèce, plus personne ne rigole avec ça. »

Reconnaissance légale du terme féminicide

Le problème prend maintenant une tournure politique. Le parti d’opposition Syriza (gauche) ainsi que de nombreux groupes féministes pressent le gouvernement Mitsotákis (centre droit) d’adopter des mesures fortes pour enrayer cette spirale de violence.

Parmi celles-ci, on réclame que le terme « féminicide » soit inscrit dans le Code criminel comme un acte haineux à part entière. Certains juristes et militants estiment que la loi comme elle est actuellement rédigée favorise la culture de l’impunité, parce qu’elle ouvre la porte à des peines réduites pour les hommes qui plaident le « crime passionnel » ou font preuve de remords.

Selon Maria Stratigaki, la reconnaissance légale du terme féminicide permettrait de mieux admettre le problème et, ainsi, de le prendre à bras-le-corps.

Il faut aller au-delà du simple assassinat afin de lui donner un caractère plus politique. Montrer que le féminicide est relié au sexisme comme certains crimes sont liés au racisme. Cela permettra de lui donner une dimension sociale en le jugeant selon d’autres critères.

Maria Stratigaki, directrice du programme Genre, société, politiques de l’Université Panteion

Le gouvernement a réagi en novembre dernier par une campagne tous azimuts visant à encourager les victimes à dénoncer leurs agresseurs. Une ligne d’aide téléphonique a été mise sur pied, et l’on annonce des programmes scolaires pour sensibiliser les jeunes aux questions du sexisme.

Des « vœux pieux » ?

En entrevue cette semaine avec le quotidien The Guardian, la ministre de l’Égalité des genres de la Grèce, Maria Syrengela, a promis une « réécriture » de la loi sur la violence conjugale, en accord avec la Convention d’Istanbul, signée il y a 10 ans, pour faire face au problème de cette violence.

« Nous proposerons bien sûr que le terme féminicide soit inclus », a-t-elle déclaré.

Mais selon Maria Stratigaki, ce ne sont là que des « vœux pieux ». La professeure, qui fut aussi secrétaire générale de l’Égalité des genres en Grèce de 2009 à 2012, rappelle que le ministère de la Justice a jusqu’ici fermé la porte à toute modification législative et serait étonnée qu’il change de position.

« Je crois que Mme Syrengela dit cela pour satisfaire les féministes. Je ne pense pas que cela arrivera si facilement. Revisiter la loi de 2006 sur la violence conjugale est un processus beaucoup trop long et compliqué. Elle n’aura pas le pouvoir de convaincre le ministre de la Justice », dit-elle.

Au centre des débats publics

Mme Stratigaki se félicite toutefois que le sujet soit aujourd’hui au centre des débats publics et que l’opinion soit alertée. Le mouvement #metoo a fait son entrée fracassante en Grèce début 2021, avec les allégations d’agression sexuelle par la médaillée d’or olympique Sofía Bekatórou. Son témoignage demeure un tournant dans la libération de la parole chez les femmes grecques.

Signe d’une prise de conscience, Mme Stratigaki convient aussi que la police commence à prendre le problème au sérieux. Elle évoque une intervention récente des forces de l’ordre, qui ont permis d’éviter le 18féminicide de l’année. « Lorsque les agents sont entrés dans l’appartement, il avait le couteau sur la gorge de sa femme », dit-elle.

Dans une société réputée conservatrice et patriarcale, les changements ne se feront toutefois pas du jour au lendemain, ajoute-t-elle.

Mme Stratigaki souligne que la Grèce se situe toujours au dernier rang de l’index européen de l’égalité hommes-femmes et rappelle que le pays n’a ouvert ses premiers refuges pour femmes battues qu’en 2011, lorsqu’elle était secrétaire générale de l’Égalité des genres – « 30 ans plus tard que les autres pays ».

Mais au moins, maintenant, « les yeux sont ouverts », conclut-elle.