L’euro est la seule des grandes monnaies mondiales à ne pas avoir de visages sur ses billets. Mais cela pourrait changer après 2024, puisqu’on projette une nouvelle série de billets ornés de figures historiques européennes.

Marie Curie ou Galilée ? Beethoven ou Victor Hugo ? Jacques Delors ou Simone Veil ? Quels visages apparaîtront sur les prochains billets d’euros ? C’est la question à mille dollars… 

À l’heure actuelle, les seules illustrations figurant sur des billets européens sont des figures de la mythologie ou des structures architecturales imaginaires, faites de portes inconnues et de ponts qui n’existent pas. Mais ces designs pourraient changer dès 2024, alors qu’on annonce de nouvelles coupures de 5, 10, 20, 50 et 100 euros pour souligner le 20e anniversaire de la monnaie unique, actuellement partagée par 19 pays de la « zone euro ».

Le projet, évoqué dans ses grandes lignes la semaine dernière par la Banque centrale européenne (BCE), impliquerait des monuments et des figures historiques réels, afin de mieux incarner l’Europe. Comme l’a expliqué Christine Lagarde, présidente de la BCE, ces nouvelles images permettront aux « Européens de tous âges et de tous horizons » de « s’identifier » plus facilement à leurs billets de banque.

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Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne

Le processus a toutefois un haut potentiel inflammable. Un groupe de 19 gouverneurs représentant les banques centrales des 19 pays concernés sera chargé de prendre la décision définitive, à la suite de consultations citoyennes. Mais chaque pays pourrait vouloir tirer la couverture de son côté en fonction de ses intérêts.

C’est pour cette raison, d’ailleurs, que les billets actuels sont neutres. Ils sont le résultat d’un compromis visant à ménager les susceptibilités nationales. Le journal français Les Échos rappelle qu’à l’époque, le projet avait provoqué des « débats passionnés », alors que tous les États membres « voulaient voir honorés leurs héros ou leurs plus beaux trésors », d’où ce choix de ponts imaginaires.

Beaucoup d’appelés, mais peu d’élus

Ouvre-t-on une boîte de Pandore en lançant ce projet de nouveaux designs ? Ne serait-il pas préférable de conserver les billets actuels, désincarnés, soit, mais consensuels ?

« Il y aura un débat, c’est sûr et certain, et il y aura des opposants, ça c’est clair », lance Yves Bertoncini, président du Mouvement Européen – France, en évoquant les tensions qui existent déjà entre certains pays.

Pour ce consultant en affaires européennes, l’idée de redessiner les billets d’euros est pourtant loin d’être mauvaise. Elle permettra en effet d’améliorer l’image « froide » et « technocratique » de l’Union européenne en lui donnant « un peu d’âme et de chair, quelque chose de plus familier ».

Selon l’historien Laurent Warlouzet, auteur du livre Europe contre Europe – Entre liberté, solidarité et puissance, à paraître en janvier 2022, l’exercice aurait aussi l’avantage de lancer une nouvelle réflexion sur « l’identité et la spécificité » du projet européen, une réflexion qui irait « au-delà d’un cercle restreint de spécialistes et d’un intérêt un peu théorique pour la paix ».

En théorie, tout bon. Mais en pratique, ces belles idées pourraient se heurter à un mur. Avec 19 pays pour seulement 5 coupures différentes, il y aura forcément beaucoup d’appelés, mais peu d’élus, même si quelques figures, plus consensuelles que d’autres, peuvent finir par s’imposer (voir plus bas).

Figures consensuelles

Chercheuse à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Catherine Mathieu voit d’emblée une solution. Elle suggère que chaque pays émette ses propres billets, avec des figures ou bâtiments nationaux qui lui sont propres, comme c’est déjà le cas pour les pièces de monnaie de la zone euro. « Ce serait une possibilité toute simple… mais il y aurait des enjeux de confiance », lance l’économiste, en évoquant le risque accru de contrefaçons.

Le processus de sélection suivra son cours jusqu’en 2024. D’ici là, voici quelques noms qui pourraient être retenus, sachant que les figures militaires seront d’office écartées, en raison de leur aspect clivant. Napoléon n’évoque pas la même chose en France qu’en Autriche… De l’avis général, il faudra plutôt aller chercher du côté de la science ou de l’art, domaines plus consensuels.

Marie Curie (1867-1934) : femme, scientifique, Prix Nobel de chimie en 1911, la « découvreuse » du radium remplit tous les critères. « Elle est à la fois française et polonaise. C’est un des rares personnages qui est en même temps d’Europe centrale et de l’Ouest. C’est une figure consensuelle », résume Laurent Warlouzet.

Ludwig van Beethoven (1770-1827) : l’un des plus grands compositeurs de son temps. Son Ode à la joie est, depuis 1972, l’hymne de l’Union européenne, et a été repris par Emmanuel Macron le soir de son élection en 2017.

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Simone Veil, alors ministre de la Santé, lors d’une rencontre avec le président de la République française de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing, à l’Élysée, à Paris, en novembre 1974

Simone Veil (1927-2017) : rescapée des camps de la mort, cette femme politique française est connue pour son rôle fondamental dans la légalisation de l’avortement en France. Elle a été la première femme présidente du Parlement européen en 1979.

Érasme (1466-1536) : théologien et philosophe, ce Néerlandais est considéré comme l’un des grands penseurs de la Renaissance. « Une figure positive dans beaucoup de pays européens », résume Laurent Warlouzet. Le programme d’échanges étudiants Erasmus lui doit son nom.

IMAGE TIRÉE DE WIKIPÉDIA

Portrait de Léonard de Vinci réalisé par Francesco Melzi vers 1515-1517

Léonard de Vinci (1452-1519) : symbole du génie et de l’ingéniosité, le plus connu des peintres italiens est une figure emblématique du patrimoine européen. D’autant plus justifié qu’il a passé les dernières années de sa vie en France. On pourrait lui préférer l’Italien Galilée (1564-1642) ou le Polonais Copernic (1473-1543), deux astronomes de la Renaissance.

Les artisans de la « construction européenne » : ils s’appellent Altiero Spinelli (précurseur de l’intégration européenne, 1907-1986), Jacques Delors (création du marché unique, 1925-) Wim Duisenberg (premier président de la BCE, 1935-2005), Pierre Werner (création de l’euro, 1913-2002) ou Robert Schuman (création de l’Union européenne, 1886-1963). Ils ont « pensé » l’Union européenne, mais leur déficit de notoriété auprès du grand public pourrait jouer contre eux. « C’est un second niveau moins satisfaisant, mais je dirais que ça serait une base de repli possible », résume Yves Bertoncini.

Pays de la zone euro, avec leur année d’adhésion

1999

Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas et Portugal

2001

Grèce

2007

Slovénie

2008

Malte et Chypre

2009

Slovaquie

2011

Estonie

2014

Lettonie

2015

Lituanie