(Paris) « Je voulais le ramener », « je n’ai pas réussi ». Au procès du 13-Novembre, les proches de l’un des assaillants du Bataclan ont raconté leur vaine tentative pour le faire revenir de Syrie et la « honte » d’avoir échoué.

Le président Jean-Louis Périès le répète plusieurs fois aux témoins : ce n’est pas eux que l’on juge. « Ce que l’on veut comprendre, c’est comment votre fils en est arrivé là », dit le magistrat au père de Samy Amimour, kamikaze du Bataclan.

À la barre, Azdyne Amimour, retraité de 74 ans, cheveux blancs, crâne dégarni, col roulé et veste beige, semble comme perdu.  

« C’est très difficile à expliquer. Il a eu une bonne éducation, un parcours scolaire sans faute », dit-il. « Et après, ça s’est passé à vitesse vertigineuse ».

Le vieil homme, qui demandera vite à s’assoir sur une chaise, raconte les premiers changements au lycée de son fils « introverti » : la mosquée, la tenue vestimentaire, la prière. « Je me suis dit “pourquoi pas”, je préfère ça que dealer ».

À l’été 2013, prétextant un voyage « dans le sud » avec des copains, Samy Amimour rejoint la Syrie. Il embrasse son père avant. « Ça m’a intrigué », reconnaît ce dernier.

Pendant un an, la famille garde contact via les réseaux sociaux. Azdyne Amimour, puis sa fille Maya, qui témoigne après lui, racontent des envois de photos de « chatons », leur souci de ne pas le « brusquer ». « Je ne lui ai pas fait la morale, je ne voulais pas qu’il rompe le contact », dit Azdyne Amimour.

À l’écran de l’ordinateur, il aperçoit un jour une Kalachnikov posée contre le mur du cybercafé d’où lui parle son fils. Samy Amimour rassure son père. L’arme n’est pas à lui.  

« C’est pas fréquent quand même, une Kalachnikov dans un cybercafé ? » pousse la cour. « Vous ne vous êtes pas inquiété plus que ça ? ». « Si, un peu », avance le témoin.

À l’été 2014, il décide de suivre la trace de son fils. « Pour le récupérer ». Un voyage qu’il avait caché aux enquêteurs après les attentats qui ont fait 130 morts à Paris et Saint-Denis, reconnaît-il devant la cour.

De ces quatre jours sur place, il assure ne rien tirer : « J’avais l’impression de l’enquiquiner », dit Azdyne Amimour au sujet de son fils qui l’enverra « balader » à chaque fois qu’il essaie de discuter.

« Lobotomisé »

La cour, le ministère public et les parties civiles l’assaillent de questions pendant plusieurs heures. Pourquoi n’a-t-il pas coupé internet si son fils se radicalisait en ligne ? Comment expliquer cet « enclenchement vers la violence » d’un garçon décrit comme « gentil et serviable » ?

Et en Syrie, qu’a fait son fils ? Et lui, qu’a-t-il vu ? Pourquoi est-il rentré bredouille si vite ?

Le père hésite, répond souvent à côté, s’emmêle dans les dates et part dans de longues digressions, agaçant ses interlocuteurs. « J’ai essayé », « on n’a jamais pensé au pire »… « Il a été complètement lobotomisé ».

« Azdyne Amimour n’est pas responsable des crimes de son fils », commente hors de la salle d’audience Georges Salines, qui a perdu sa fille au Bataclan.

Les deux hommes ont écrit à quatre mains le livre « Il nous reste les mots » et se rendent régulièrement ensemble en prison et dans les écoles pour lutter contre la radicalisation.  

Maya Amimour, 28 ans, a raconté comment elle avait gardé contact avec ce grand frère qui d’un coup s’intéressait à elle. « J’ai juste pris ce qu’il me donnait, j’essayais d’exister », reconnaît à la barre cette brune au carré long, grandes lunettes sur le nez, qui avait 20 ans au moment du départ de son aîné.

CROQUIS D’AUDIENCE, BENOIT PEYRUCQ, AGENCE FRANCE-PRESSE

Maya Amimour, la sœur de Samy Amimour, un des assaillants du Bataclan. À gauche, un des accusés Mohamed Abrini, qui s'est objecté à une des questions posées à la témoin.

Une avocate des parties civiles veut savoir ce qu’elle a ressenti à l’annonce de sa mort au Bataclan. « J’étais en colère », dit-elle les mains serrées.

« Ces gens-là sont innocents, ils n’ont pas à s’excuser », crie à un moment l’un des accusés Mohamed Abrini depuis son box.

Maya Amimour tremble à la barre. « Six ans après je lui en veux toujours. Je suis encore honteuse d’avoir le nom. J’ai honte de passer devant les victimes. Dire que je suis désolée est un euphémisme, il n’y a pas de mots », dit-elle en pleurs. À sa sortie de la salle d’audience, une partie civile viendra la serrer dans ses bras.

Azdyne Amimour, lui, a réfléchi à un autre voyage en Syrie. Lorsque son fils est mort, sa compagne était enceinte de lui et il a appris il y a quelques mois que sa petite-fille était vivante et dans un camp dans le nord du pays. « J’aimerais la retrouver », dit-il doucement se disant prêt à « repartir », « pour voir la petite ».