(Moscou) Un dialogue fort attendu entre Joe Biden et Vladimir Poutine aura lieu en visioconférence mardi sur fond de tensions grandissantes entre leurs deux pays. Cette annonce a lieu alors que le Washington Post a révélé vendredi que la Russie prévoyait une offensive contre l’Ukraine dès le mois de janvier.

Les tensions sont vives entre la Russie et les pays occidentaux. Le gouvernement ukrainien, largement soutenu par l’OTAN, craint une attaque des forces militaires russes positionnées à la frontière depuis plusieurs semaines.

Rappelons que l’Ukraine a fait partie de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) des années 1920 jusqu’en 1991. Une partie du sud et de l’est du pays compte une importante population traditionnellement russe.

Depuis 2014, l’Ukraine est déchirée par une guerre civile qui a fait plus de 13 000 morts, opposant Kiev et les séparatistes prorusses établis dans l’est du pays. Ceux-ci sont soutenus de façon informelle par la Russie, explique Pierre Jolicœur, professeur au Collège militaire royal du Canada, spécialiste des pays de l’ex-URSS et de la politique étrangère de la Russie.

Ce conflit a commencé après l’annexion par la Russie de la péninsule de Crimée, dans le sud du pays, en 2014. À l’époque, la Russie espérait rallier d’autres régions de l’Ukraine, explique Pierre Jolicœur. « Je pense que Vladimir Poutine a surestimé sa capacité à mobiliser la population russe en Ukraine et a sous-estimé la capacité militaire de l’Ukraine dans l’Est [à l’époque] », analyse-t-il. La Russie est visée par des sanctions internationales depuis son annexion de la Crimée.

Mobilisation imposante de Moscou

Vendredi, le Washington Post a révélé que la Russie prévoyait une offensive militaire en Ukraine impliquant 175 000 soldats dès le mois de janvier. Un haut responsable américain a affirmé au quotidien, sous le couvert de l’anonymat, que Moscou se préparait à lancer « 100 bataillons composés de groupes tactiques avec un effectif estimé à 175 000 hommes, ainsi que des chars, de l’artillerie et autres équipements ».

« C’est une situation tendue aux portes de l’Ukraine depuis plusieurs semaines, confirme Pierre Jolicœur. On parlait de 100 000 personnes, mais là, si on parle de 175 000, ça semble plus imposant que les dernières mobilisations [militaires de la Russie]. »

PHOTO PATRICK SEMANSKY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Joe Biden et Vladimir Poutine, en juin dernier

Dans ce climat explosif, M. Biden a déclaré vendredi que les États-Unis préparaient un « ensemble d’initiatives » dissuasives pour rendre « très, très difficile à M. Poutine de faire ce que les gens craignent qu’il fasse », selon l’Agence France-Presse.

De son côté, pour apaiser les tensions, Moscou réclame des « garanties sécuritaires ». Notamment, le Kremlin demande l’assurance que les forces de l’OTAN ne continueront pas de s’étendre vers l’est de l’Ukraine.

C’est dans ce contexte que Joe Biden et Vladimir Poutine se rencontreront pour un sommet virtuel mardi.

La Russie : grand parleur, petit faiseur ?

Ce n’est pas la première fois que la Russie fait des démonstrations de force à la frontière de l’Ukraine dans la dernière année. Moscou a d’ailleurs plusieurs fois démenti toute intention belliqueuse et a accusé les pays occidentaux de multiplier les « provocations », notamment en menant des exercices militaires en mer Noire, un espace que la Russie considère comme son territoire, détaille l’Agence France-Presse.

Le printemps dernier, Vladimir Poutine avait déjà effectué des manœuvres militaires à la frontière de l’Ukraine de nature à inquiéter les pays occidentaux.

Selon plusieurs experts, « Vladimir Poutine cherchait à attirer l’attention pour montrer que la Russie est encore un acteur important sur la scène internationale », explique Pierre Jolicœur. C’était aussi une façon de tester la nouvelle administration de Joe Biden et d’obtenir une entrevue en tête à tête avec le président américain. « Ce qu’il a obtenu », ajoute le professeur.

Les intentions du Kremlin sont toutefois moins claires cette fois-ci, observe M. Jolicœur. Cette augmentation de la présence militaire est peut-être une façon de rappeler l’importance de la Russie à l’international, alors que les États-Unis ont accordé une grande attention à la Chine dernièrement, soutient le professeur.

« Une autre hypothèse, c’est que la Russie profite de l’inattention [de l’Occident]. Si le regard est porté vers la mer de Chine, c’est peut-être une occasion pour Moscou de marquer des points », analyse-t-il aussi.

Une dernière possibilité : Vladimir Poutine pourrait souhaiter rendre à la Russie sa grandeur d’antan. « Poutine prépare peut-être sa sortie et veut préparer son héritage pour quand il va quitter le pouvoir », dit Pierre Jolicœur.

L’expert affirme qu’il serait surpris si le Kremlin allait de l’avant avec une offensive en Ukraine. « Mais Vladimir Poutine a réussi à nous surprendre plusieurs fois, remarque-t-il. Donc ce n’est pas impossible. »

Avec l’Agence France-Presse