(Paris) Un clip vidéo susceptible de générer des plaintes suivi d’un 20 heures qui se termine par des insultes : Eric Zemmour a cassé tous les codes pour annoncer mardi sa candidature sans parvenir, selon des experts, à opérer sa mue de polémiste à prétendant à la magistrature suprême.

« Je ne suis plus le journaliste, l’écrivain. Je suis candidat à la présidence de la République. […] Ma mue est faite », a assuré le polémiste d’extrême droite au 20 heures de TF1, au terme d’une journée marquée par sa déclaration de candidature, jugée « sinistre » par l’ensemble de la classe politique.

PHOTO THOMAS COEX, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’entretien avec le présentateur Gilles Bouleau (à gauche) s’est terminé par des insultes, le nouveau candidat traitant en coulisses le présentateur vedette de TF1 de « connard » puis fustigeant devant la presse une « interview de procureur ».

Mais cette entrée en campagne mouvementée ne s’est pas arrêtée là. L’entretien avec Gilles Bouleau s’est terminé par des insultes, le nouveau candidat traitant en coulisses le présentateur vedette de TF1 de « connard » puis fustigeant devant la presse une « interview de procureur ».

Raphaël Llorca, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès, voit l’entretien sur TF1 comme « un vrai accident industriel » où Eric Zemmour a « donné le sentiment de subir l’interview du début à la fin, incapable de reprendre la main ».

« L’exercice d’intervieweur est plus facile, semble-t-il, que celui d’interviewé », a abondé dans Le Parisien, Marine Le Pen, estimant sur LCI qu’il avait construit sa campagne sur une « multiplication de provocations » dont il devait désormais répondre.

La candidate du Rassemblement national estime que la candidature de M. Zemmour « n’a plus d’élan, plus de dynamique » et « est devenue inutile », voire au contraire qu’elle peut l’empêcher de battre Emmanuelle Macron.

Pour son annonce de candidature à la mi-journée, Eric Zemmour avait rompu avec tous « les codes traditionnels », selon Raphaël Llorca, avec une vidéo de dix minutes aux accents dramatiques et nostalgiques.

Roman national

Rythmée par la 7e symphonie de Beethoven, la vidéo met en scène le polémiste qui lit son texte, derrière un micro d’époque, mimant l’appel du général de Gaulle du 18 juin 1940, alors que défilent des scènes de violence et archives du « pays de Notre-Dame-de-Paris et des clochers ».  

« Refus du regard-caméra, refus de la logique de la séduction, refus de la promesse : à la place, c’est tout un imaginaire menaçant et une atmosphère anxiogène qui est développée, à mille lieues du candidat-désir auquel nous sommes habitués », explique dans le Figaro M. Llorca.

Mais pour Éric Zemmour, ces images servent aussi à « mettre en scène le roman national en s’inspirant à la fois de Cinéscénie du Puy du Fou et des codes visuels de Netflix », souligne dans le même quotidien Jérôme Fourquet, directeur Opinion de l’Ifop.

« C’est un récit davantage qu’un programme politique traditionnel », qui fait au passage oublier le doigt d’honneur à Marseille, note dans le JDD Isabelle Veyrat-Masson, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de communication politique.

Outre le manque de propositions, la vidéo a donné le signe d’une organisation fragile autour du candidat, déjà critiquée en interne, quand plusieurs personnalités et médias, dont l’AFP, ont fustigé mardi l’utilisation – sans leur consentement – de leurs images, certains menaçant le polémiste de poursuites judiciaires.

TF1, « erreur tactique » ?

Eric Zemmour a « réussi son roman national », mais son « erreur tactique a été d’aller sur le plateau de TF1 », juge Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste en communication politique auprès de l’AFP.

« Aller sur TF1 et s’offusquer d’y être mal traité, c’est de la part d’Éric Zemmour une incompréhension de son statut de candidat populiste-qui ne peut par définition pas être bien accueilli dans cet univers, qu’il rejette par ailleurs absolument », explique M. Moreau-Chevrolet.

« Il ne suffit pas de se déclarer candidat pour être un candidat sérieux », ajoute-t-il.

Reste à savoir quelle image les Français retiendront, entre celle « du narrateur d’un roman national remasteurisé à la mode Netflix » ou celle « d’un candidat au costume présidentiel un peu trop grand pour lui », selon M. Llorca.

« Les 7,3 millions de téléspectateurs (de TF1) jugeront. Les 2,1 millions ayant visionné l’annonce aussi », a affirmé sur Twitter mercredi le communicant d’Éric Zemmour, Olivier Ubeda.

« Ce qui compte c’est le lien direct entre nous », a souligné pour sa part Eric Zemmour à ses abonnés des réseaux sociaux.

Alors que seuls 24 % des Français considèrent qu’il a les qualités nécessaires pour être président, selon Elabe, l’équipe de Zemmour mise sur le premier meeting dimanche à Paris pour relancer la machine.

La réunion publique a été déplacée du Zénith au Parc des expositions de Villepinte, son équipe estimant que le nombre d’inscrits a atteint à ce jour 19 000.