(Rotterdam) Quand Rotterdam s’est embrasée vendredi soir sur fond de protestation contre les restrictions sanitaires, Akash Anroadh a été submergé par une impression de déjà vu : les émeutiers étaient « les mêmes » que ceux qui ont brûlé une barricade devant son commerce en janvier, après l’annonce d’un couvre-feu aux Pays-Bas.

Voitures incendiées, policiers caillassés et visés avec des feux d’artifice par des centaines de jeunes encapuchonnés et des hooligans… Les explosions de violences rappelaient celles du début d’année, provoquées par la mise en place d’un couvre-feu nocturne pour lutter contre une recrudescence de l’épidémie de COVID-19.  

Face à une nouvelle flambée des cas, le pays a réintroduit la semaine dernière un confinement partiel, avec une série de restrictions sanitaires touchant notamment le secteur de la restauration, qui doit fermer à 20 h.  Le gouvernement projette également d’interdire certains lieux aux non-vaccinés, notamment les bars et les restaurants.

Vendredi, l’étincelle est partie d’une manifestation anti-restrictions, organisée via les réseaux sociaux et qui a rapidement dérapé, selon la police, qui a arrêté de nombreux émeutiers n’habitant pas Rotterdam.

Contrairement à janvier, la colère contre la politique sanitaire a ravagé le centre-ville plutôt que le quartier populaire de Feijenoord, où la boutique de produits indiens d’Akash Anroadh est installée. Un soulagement pour ce Néerlandais de 27 ans puisque la police a fini par tirer à balles réelles, faisant cinq blessés.

Comme en janvier, « il y a eu un effet dominos », regrette-t-il, avec des heurts les nuits suivantes ailleurs dans le pays.  

« A un moment, ça va recommencer », prophétise ce commerçant, peu surpris par le profil des émeutiers. A Rotterdam, la plupart étaient à peine majeurs, selon les autorités, qui soulignent la grande diversité des coupables.

« Frustrés »

Certains avaient des liens avec le milieu hooligan, selon le ministre de la Justice, qui a relevé la nature différente des troubles lors des nuits suivantes, d’abord à La Haye puis dans d’autres villes, où des rassemblements tendus ont eu lieu « apparemment sans motivation sociale ou politique ».   

« Les jeunes sont frustrés parce qu’ils ne peuvent rien faire avec le coronavirus », soupire M. Anroadh dans sa boutique.  

Pour lui, comme pour la plupart des Rotterdamois rencontrés par l’AFP, les nouvelles mesures ont servi « d’excuse » à une multitude de jeunes aux motivations confuses, qui voulaient en découdre.  

« L’interdiction du public dans les stades » de foot et celle « des feux d’artifice », qui prive les Néerlandais d’une tradition très appréciée au Nouvel An, alimentent aussi la colère, estime-t-il.

Un peu plus loin, Emre déborde de ressentiment. « Bien sûr que je suis frustré, et je suis fier de ce que nous avons fait », lâche ce petit brun de 19 ans, qui souhaite rester anonyme. Motivé par les appels sur les réseaux sociaux, il s’est rendu en centre-ville vendredi avec cinq amis.  

« Idiots »

Aux Pays-Bas, « presque 85 % des adultes sont vaccinés, mais ça ne fait qu’empirer », enrage ce non vacciné, qui doute ouvertement de l’efficacité des sérums anti-COVID-19.  

Sa colère dépasse la seule pandémie. Face au premier ministre Mark Rutte, qui a dénoncé la « racaille » en janvier et qualifié les derniers troubles de « violence pure » perpétrée par des « idiots », le jeune homme répond que le chef de l’État « est un menteur, détesté par beaucoup ici ».  

Emre lui reproche notamment le récent scandale des allocations familiales, qui a vu des milliers de parents accusés à tort de fraude aux allocations familiales, parfois sur la base d’un profilage ethnique appliqué par l’administration.

« Les gens protestent contre les (mesures) 2G », qui prévoient de réserver l’accès de nombreux lieux publics aux seuls vaccinés (« gevaccineerd ») et guéris (« genezen »), avance Samski, jeune de 18 ans qui veut rester anonyme. Ses comparses insultent aussi la police, coupable selon eux de les contrôler plus que les autres car ils sont d’origine turque.  

Après les émeutes de janvier, le leader populiste Thierry Baudet, nouvelle figure de l’extrême droite aux Pays-Bas, s’en était rapidement pris à « l’immigration de masse ». Une piètre explication, pour de nombreux Rotterdamois.

« La foule était très diverse vendredi, il y avait aussi de nombreux hooligans de mon club de football », remarque Mark Been, quinquagénaire et fan du Feyenoord Rotterdam, équipe qui compte certains des supporters les plus violents d’Europe.  

Dans ce pays très attaché aux libertés individuelles et face à une pandémie interminable, « les gens sont un peu perdus » face au durcissement de l’exécutif, qui a longtemps rechigné à prendre des mesures coercitives, rappelle Ronald Slingerland, devant la façade encore noircie d’un immeuble en centre-ville.