Le gouvernement autrichien, qui multiplie les mesures chocs pour tenter de contenir la flambée des cas d’infection au coronavirus frappant le pays, entend rendre obligatoire la vaccination contre la COVID-19.

La décision, un précédent pour l’Europe, survient alors que le continent est aux prises avec une nouvelle vague qui force nombre d’États à resserrer d’urgence les contrôles sanitaires.

PHOTO GEORG HOCHMUTH, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Alexander Schallenberg, chancelier fédéral d’Autriche

Le chancelier Alexander Schallenberg a annoncé vendredi que l’Autriche adopterait à partir dug 1er février prochain une approche coercitive prévoyant des amendes pour les récalcitrants puisqu’une fraction trop importante de la population refuse de se faire vacciner.

Le pays de neuf millions d’habitants, qui a enregistré plus de 15 000 cas d’infection dans la journée, présente, à 64 %, l’un des plus faibles taux de vaccination en Europe de l’Ouest.

« Augmenter substantiellement le taux de vaccination est la seule avenue pour sortir du cercle vicieux dans lequel nous sommes pris… Trop de gens ont manqué de solidarité par leur comportement », a souligné le chancelier, qui a aussi annoncé une nouvelle période de confinement général devant s’étendre au moins jusqu’à la mi-décembre.

Il a précisé que les gens qui n’auraient toujours pas été vaccinés à cette date demeureraient soumis au confinement.

L’épreuve des tribunaux

Le durcissement de l’approche du gouvernement a suscité des critiques dans les rangs de l’opposition, notamment à l’extrême droite, un élu cité par le quotidien britannique The Guardian fustigeant la transformation du pays en « dictature ».

Des manifestations sont prévues ce samedi à Vienne pour dénoncer la décision, qui a peu de chances d’être invalidée par les tribunaux selon Alan Greene, spécialiste du droit constitutionnel et des droits de la personne rattaché à l’Université de Birmingham, au Royaume-Uni.

En entrevue avec La Presse, l’analyste a indiqué vendredi que la Cour européenne des droits de l’homme était peu susceptible de trancher à l’encontre du gouvernement autrichien malgré le caractère contraignant de la mesure retenue.

Depuis le début de la pandémie, le tribunal a adopté une approche très peu interventionniste, laissant aux États une « grande marge d’appréciation » pour déterminer « l’équilibre à trouver entre le respect des droits individuels et la défense du bien collectif », relève-t-il.

Dans une décision rendue avant le début de la pandémie qui concernait la République tchèque, la cour avait statué, note l’universitaire, que le fait d’exiger que les enfants soient vaccinés contre neuf maladies avant d’accéder à la maternelle ne représentait pas une « atteinte à la liberté » disproportionnée puisque l’objectif était de protéger la santé des autres.

L’Autriche, note M. Greene, pourrait être tenue de montrer qu’elle a opté avec la vaccination obligatoire pour une mesure « proportionnée » qui minimise l’atteinte aux droits individuels en prévoyant notamment des exceptions, par exemple pour les personnes ne pouvant être vaccinées pour des raisons médicales.

L’imposition de mesures de confinement distinctes aux personnes vaccinées et non vaccinées risque d’être considérée de la même façon, croit le spécialiste de l’Université de Birmingham. D’autres États, comme la Slovaquie, ont indiqué qu’ils entendaient aussi adopter cette approche.

La décision de l’Autriche relativement à la vaccination obligatoire a suscité vendredi des réserves de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui dit favoriser des stratégies visant à convaincre la population plutôt qu’à la contraindre.

Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a également souligné à l’Agence France-Presse qu’une approche « pédagogique » devait être priorisée.

À l’heure actuelle, seule une poignée de pays imposent officiellement la vaccination contre la COVID-19. C’est le cas notamment du Tadjikistan et du Turkménistan, qui sont soumis à des régimes autoritaires, ainsi que de l’Indonésie. Aucun n’a cependant un taux effectif de vaccination très élevé.

Un « extrême »

Un grand nombre de pays occidentaux ont imposé la vaccination obligatoire à certains corps professionnels, en particulier dans le secteur de la santé, mais aucun n’a encore affiché sa volonté d’emboîter le pas à l’Autriche en ciblant toute la population.

Même si elle suscite la controverse, l’imposition de la vaccination obligatoire à une partie ou à l’ensemble de la population est défendue par un nombre croissant de bioéthiciens, relève Vardit Ravitsky, qui enseigne dans ce domaine à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Les réponses que les spécialistes apportent aux questions éthiques soulevées par la pandémie de COVID-19 ont sensiblement évolué à mesure que les connaissances scientifiques au sujet du virus se développaient, dit-elle.

L’importance des risques que fait courir le virus aux pays touchés, en particulier par son impact potentiel sur leur système de santé, l’apparition de variants plus transmissibles et l’efficacité des vaccins ont transformé l’analyse, souligne Mme Ravitsky.

L’imposition de restrictions aux personnes non vaccinées, notamment par l’entremise d’un passeport vaccinal, est vue aujourd’hui comme une approche justifiable par les élus de nombreux pays.

L’acceptabilité de telles mesures sur le plan éthique dépend cependant de la gravité des restrictions imposées, estime la professeure de l’Université de Montréal, qui considère l’approche coercitive choisie par l’Autriche en matière de vaccination comme un « extrême ».

Le débat à ce sujet risque de s’intensifier en Europe, qui regroupe neuf des dix pays ayant enregistré cette semaine la plus importante accélération du nombre de cas de COVID-19. Seuls les États-Unis présentaient une hausse comparable. Les autres régions de la planète ont connu une embellie relative, selon un recensement fait par l’Agence France-Presse.

L’OMS estime que la détérioration de la situation en Europe est imputable à un taux de vaccination global insuffisant, à la levée trop rapide des restrictions sanitaires et à la progression du variant Delta.