(Paris) Provocations, obsession identitaire, discours anti-élites : Éric Zemmour, candidat non déclaré à l’élection présidentielle d’avril 2022, s’inspire ouvertement de la stratégie de conquête du pouvoir de Donald Trump, mais sans bénéficier du soutien d’un grand parti comme l’ancien président américain.

Le polémiste d’extrême droite le revendique clairement. Il s’est « inspiré » d’une affiche de Donald Trump pour la couverture de son dernier essai, dans lequel il raconte qu’une « Mamie Trump », qui fédérait des soutiens français à l’homme d’affaires, est venue lui dire que « “le Trump français, c’est vous” ».

PHOTO ÉRIC GAILLARD, REUTERS

Éric Zemmour s’est « inspiré » d’une affiche de Donald Trump pour la couverture de son dernier essai, La France n’a pas dit son dernier mot. On le voit ci-haut lors d’une séance de dédicaces dans un Salon du livre à Toulon, dans le Midi de la France, le 17 septembre 2021.

« Trump, c’était le héraut — vulgaire et braillard, sans doute, inculte, peut-être — d’une Amérique blanche protestante et populaire, dont les statistiques ethniques annonçaient qu’elle serait minoritaire avant 2050 », écrit dans son livre Éric Zemmour, qui ressasse l’idée d’une France en voie de « disparition », « colonisée » par l’immigration musulmane.

L’ancien président américain, qui s’est fait connaître comme Zemmour à la télévision, est aussi « un modèle » dans sa conquête du pouvoir parce qu’il a « réussi à vaincre le politiquement correct représenté par les médias, les institutions, les juges » en « réalisant une alliance entre les classes populaires et une élite patriote », estime le polémiste identitaire.

PHOTO BOB EDME, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Une femme passe devant une affiche publicitaire du magazine économique français Challenges, décrivant en page une Éric Zemmour comme « Notre Trump » à Biarritz, dans le sud-ouest de la France, le jeudi 28 octobre 2021.

L’ancien ambassadeur de France à Washington Gérard Araud dit à l’AFP « croire au parallèle » avec Trump, mais aussi avec le premier ministre britannique Boris Johnson : « Les Américains veulent un milliardaire, les Britanniques quelqu’un qui sort d’Eton ou d’Oxford, les Français quelqu’un qui a de la culture ».

Transgression

Trump et Johnson « ont réussi à allier ce qui en France serait la Manif pour tous et les Gilets jaunes, ça a été leur force », souligne le diplomate.

Les deux hommes partagent aussi « l’idée de reprendre le contrôle » du pays, note le politologue Jérôme Jaffré, comme l’évoquent le titre du dernier livre d’Éric Zemmour « La France n’a pas dit son dernier mot » et le slogan de Donald Trump « Make America great again » (rendre à l’Amérique sa grandeur).

La stratégie de Zemmour est « calquée au millimètre » sur celle de Trump, estime un député macroniste. Y compris dans la transgression lorsque le polémiste s’amuse à viser des journalistes avec une arme, après avoir dit vouloir leur ôter le pouvoir.

« Il faut être en dehors du système, casser la vaisselle. Trump faisait des déclarations monstrueuses qui faisaient hurler. Mais pour son électorat, c’était le signe qu’il était hors système et avait le courage de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas », explique M. Araud.

« Créer en permanence la controverse, c’est aussi imposer ses thèmes dans le débat », ajoute le diplomate, ce qu’assume ouvertement Éric Zemmour qui hystérise le débat politique en France depuis la rentrée.  

Zemmour cultivé, Trump « ogresque »

Zemmour et Trump, tous deux accusés d’agressions sexuelles, ulcèrent pareillement les féministes quand ils exaltent les valeurs « viriles ».

« Radicalité assumée qui donne une image d’authenticité, contrôle de l’espace médiatique en balançant des polémiques auxquelles chacun est obligé de réagir. Rappelons que cela s’est fini aux États-Unis en émeute violente » avec l’assaut du Capitole par des partisans armés de Donald Trump, résume Benjamin Haddad, spécialiste de l’Europe au centre de réflexion américain Atlantic Council.

Concurrente de M. Zemmour, Marine Le Pen, qui a opté pour la « dédiabolisation » pour gagner, juge inutile cette « brutalité ». Pour le président par intérim du parti d’extrême droite Rassemblement national Jordan Bardella, on peut agir « humainement » contre l’immigration, « sans jouer avec une boîte d’allumettes à côté de la station-service ».

Mais Éric Zemmour devra encore prouver qu’il est capable de « chauffer une salle » comme Donald Trump, prévient M. Araud, qui doute de son charisme.

Le polémiste est en outre un homme sans parti politique, comme d’ailleurs Emmanuel Macron en 2016, alors que MM. Trump et Johnson ont pu s’appuyer, financièrement et logistiquement, sur une grande formation.

« Trump a fait main basse sur les républicains et le parti » mais « Zemmour ne réussira peut-être jamais à le faire avec la droite française », note Chris Bickerton, professeur de politique européenne à l’université de Cambridge.

Les modes de scrutins sont par ailleurs très différents d’un pays à l’autre : direct uninominal majoritaire à deux tours en France, et indirect à un tour par de grands électeurs aux États-Unis.

Même physiquement, avance un ministre, Éric Zemmour « est replié sur lui-même » quand Donald Trump « a quelque chose d’ogresque ».