(Paris) Contraint par la justice de venir témoigner dans un procès impliquant d’anciens collaborateurs, l’ex-président français Nicolas Sarkozy a fustigé mardi à la barre une « décision anticonstitutionnelle » et refusé de répondre, au nom de son immunité présidentielle.

Protégé par la Constitution, l’ex-chef de l’État (2007-2012) n’a jamais été entendu ni poursuivi dans cette affaire dite des « sondages de l’Élysée ».  

Mais le tribunal correctionnel de Paris a ordonné le 19 octobre qu’il comparaisse comme témoin, jugeant cette audition « nécessaire à la manifestation de la vérité », et même menacé de le faire venir par la « force publique ».

Jusqu’ici, jamais la justice française n’avait contraint un ex-chef de l’État à témoigner sur des faits en lien avec des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions.

« J’ai appris par la presse que vous aviez lancé un mandat d’amener pour me contraindre par la force publique à venir témoigner », a lancé M. Sarkozy, 66 ans, dans une déclaration liminaire. « De mon point de vue, cette décision n’est pas constitutionnelle et, surtout, elle est totalement disproportionnée », s’est-il insurgé.

« C’est un principe essentiel des démocraties qui s’appelle la séparation des pouvoirs et comme président de la République, je n’ai pas à rendre compte de l’organisation de mon cabinet ou de la façon dont j’ai exercé mon mandat », a-t-il déclaré, affirmant avoir « fait appel » de la décision du tribunal.

Il a ensuite opposé le silence aux questions de fond du président du tribunal.

« Si je commence à répondre au quart ou au dixième des questions, ça veut dire que je suis venu ici pour m’expliquer sur les faits », a-t-il notamment assuré, affirmant que sa position n’était « pas un choix », mais un « devoir ».

Nicolas Sarkozy a finalement quitté la salle d’audience vers 14 h 30 (11 h 30, HAE), moins d’une heure après son arrivée.

Soupçons de favoritisme et détournements

Cinq de ses anciens proches sont interrogés, depuis le 18 octobre, sur des soupçons de favoritisme et détournement de fonds publics dans le cadre de prestations de conseil et de fourniture de sondages pour des millions d’euros, entre 2007 et 2012.  

Aucune de ces prestations n’a fait l’objet d’un appel d’offres, ce qui prouve, pour l’accusation, du favoritisme de la part de l’ancien secrétaire général de la présidence Claude Guéant, de l’ex-directrice de cabinet Emmanuelle Mignon et de celui qui était alors conseiller technique « opinion », Julien Vaulpré.

Soupçonnés d’avoir profité d’un « avantage injustifié », l’ancien sondeur Pierre Giacometti et le très droitier politologue Patrick Buisson sont jugés pour recel de favoritisme.

M. Buisson est en outre poursuivi pour abus de biens sociaux, ainsi que pour le détournement de 1,4 million de fonds publics autour de marges de 65,7 à 71 % sur la revente de sondages-M. Guéant et Mme Mignon étant mis en cause dans ce volet pour négligence.

Nicolas Sarkozy a été poursuivi dans deux récents procès, pour des faits postérieurs à son quinquennat et donc non couverts par l’immunité.

Il a été condamné en mars à trois ans d’emprisonnement, dont un an ferme, dans l’affaire dite des « écoutes » (pour avoir tenté d’obtenir d’un haut magistrat des informations couvertes par le secret, dans une procédure judiciaire), puis en septembre à un an ferme dans le dossier Bygmalion (pour avoir dépassé le seuil légal de dépenses électorales pendant la présidentielle de 2012).  

Dans les deux cas, il clame son innocence et a fait appel, ce qui suspend l’application des peines.

D’autres enquêtes sont en cours le concernant.