L'ancien président français Nicolas Sarkozy a été reconnu coupable jeudi de « financement illégal de campagne ». La Presse a parlé au politologue Thomas Guénolé, pour qui ce jugement prouve une reprise en main de la magistrature face à la corruption.

Sept mois après avoir été condamné à un an de prison ferme pour l’affaire dite « des écoutes », Nicolas Sarkozy a été reconnu coupable jeudi de « financement illégal de campagne » dans l’affaire Bygmalion. L’ancien président était accusé de dépenses excessives pour sa campagne électorale de 2012, qui aurait coûté 42,7 millions d’euros, soit 20,2 millions de plus que le plafond permis par la loi.

Le tribunal correctionnel de Paris a condamné « Sarko » à une peine d’un an de prison ferme, sous forme d’assignation à résidence sous surveillance électronique. Son avocat a fait savoir que son client porterait la cause en appel. Treize autres personnes impliquées dans l’affaire ont aussi été condamnées à des peines de deux à trois ans de prison. Toutes les peines sont plus lourdes que celles qui avaient été proposées par le parquet.

Selon le politologue Thomas Guénolé, auteur du livre Nicolas Sarkozy, chronique d’un retour impossible ?, ces peines exemplaires témoignent d’une reprise en main de la magistrature face à la corruption dans l’élite politique. « Ce qui passait ne passe plus », dit-il.

La Presse : Nicolas Sarkozy de nouveau condamné à un an de prison ferme. C’est une décision historique ?

Thomas Guénolé : Ce n’est pas la première fois qu’un candidat à l’élection présidentielle triche en dépensant plus que ce qu’il a le droit de dépenser. La question avait été posée sur les comptes de campagne de Jacques Chirac et Édouard Balladur en 1995. Il y avait largement matière à les invalider, mais ils n’avaient pas été condamnés. En revanche, c’est la première fois qu’un candidat à l’élection présidentielle est condamné en justice pour avoir triché sur les comptes de campagne. C’est ce qui est nouveau.

Peine sévère ou pas ?

Je ne pense pas que la peine soit sévère au regard de la raison pour laquelle la personne est condamnée. La personne est condamnée pour un système de dissimulation de cette explosion des dépenses autorisées par des systèmes de double comptabilité. À ma connaissance, ce sont des méthodes mafieuses… Mais c’est sévère par rapport à ce dont nous avons l’habitude en France. Cela s’inscrit dans un phénomène global, à savoir que les magistrats poursuivent et condamnent beaucoup plus la classe politique pour avoir enfreint la loi. Jusqu’à présent, dans la vie politico-judiciaire française, un homme politique qui faisait des choses comme ça n’était pas condamné en justice.

Qu’est-ce qui a changé, selon vous ?

J’ai deux hypothèses. La première concerne l’aspect générationnel. Les magistrats des générations précédentes étaient beaucoup plus permissifs et laxistes sur ces questions. C’était une autre époque. Depuis cinq ou dix ans, on remarque que les magistrats se mettent à appliquer la loi. Le premier à en avoir fait les frais, c’est François Fillon (candidat de droite à l’élection présidentielle de 2017), qui a fini par être condamné pour une pratique qui était pourtant courante depuis Mathusalem, à savoir que les députés et sénateurs employaient leurs épouses ou leurs maîtresses comme assistantes parlementaires fictives. Ce qui passait ne passe plus…

Seconde hypothèse ?

Celle de pressions politiques pour que le pouvoir judiciaire fasse tomber par voie judiciaire des adversaires politiques du pouvoir. Vous avez des gens à droite qui pensent que François Fillon a été victime des manœuvres de certains réseaux pour couler sa candidature au profit de Macron.

Cela s’applique à Nicolas Sarkozy ?

C’est différent dans son cas. Ce que beaucoup de gens dans le milieu sarkozyste disent en revanche, c’est que Sarkozy a tellement humilié, insulté et affronté les magistrats en France que ceux-ci ont fini par se venger. Il les a traités de tous les noms. Et donc, maintenant, il s’en prend plein la figure.

Selon vous, est-ce la fin de la route en politique pour Sarkozy ?

C’est la suite d’un feuilleton politico-judiciaire qui voit les condamnations s’accumuler. Ça éloigne encore plus la possibilité qu’il revienne dans la vie politique active, mais c’était déjà une possibilité très éloignée. D’abord parce qu’il a déjà eu une précédente condamnation judiciaire, donc ça commence à faire beaucoup. Ensuite parce qu’il a 66 ans. Ça commence à devenir inenvisageable pour des questions d’âge. Cela dit – et j’insiste –, on ne peut absolument pas préjuger de ce que ça va donner en appel. Parce qu’en France, un procès en appel, c’est refaire le procès depuis le début…

Alors que la campagne présidentielle s’ébranle en France, cette condamnation peut-elle avoir un effet sur Les Républicains, le parti fondé par Sarkozy ?

Non, je ne pense pas. La page Sarkozy est déjà tournée chez Les Républicains et dans la politique française en général. On parle de quelqu’un qui a été président de 2007 à 2012. L’an prochain, on est en 2022. Ce sera fini depuis 10 ans. Chez Les Républicains, on a d’autres préoccupations. C’est une autre génération qui est active. Xavier Bertrand, Valérie Pécresse… Il y a des gens qui trouvent que la génération Sarkozy et Fillon était d’une autre trempe. À chacun son avis là-dessus…