(Gouves) Des milliers d’habitants désespérés de l’île grecque d’Eubée en flammes observaient comme des « morts-vivants » dimanche le brasier qui consumait leurs villages et leurs terres, au douzième jour d’une vague d’incendies de forêt en Grèce et en Turquie.

« La bataille continue », a déclaré le vice-ministre grec de la Protection civile Nikos Hardalias, annonçant « une autre nuit difficile » pour les Grecs et pour les pompiers.

Si la plupart des feux étaient maîtrisés dimanche en Turquie, le sinistre de l’île d’Eubée, la deuxième plus grande de Grèce, restait le plus préoccupant dans ce pays.

« On en a vécu des incendies mais cette situation, c’est du jamais vu », se désole Nikos Papaioannou, un habitant de Gouvès, avant que son village assailli par les flammes ne soit évacué.  

En proie aux feux depuis six jours, cette langue de terre coincée entre l’Attique et la mer Égée offrait un panorama apocalyptique. Le long des routes, ses habitants aspergeaient d’eau leurs terrains, tandis que les flammes engloutissaient les épaisses zones boisées.

La Grèce et la Turquie subissent depuis près de deux semaines une canicule exceptionnelle. Les incendies favorisés par des températures caniculaires ont fait huit morts en Turquie, deux en Grèce et des dizaines de personnes ont dû être hospitalisées.

Aux portes d’Athènes, le sinistre qui a détruit des dizaines d’habitations et d’entreprises était en rémission dimanche mais « le danger de résurgence est élevé », a prévenu M. Hardalias.  

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Une partie de la forêt du village de Senyayla, près de Mugla est la proie des flammes.

Un hélicoptère a été envoyé dimanche pour hélitreuiller un pompier blessé de la forêt du nord de la capitale grecque où il se battait contre une reprise du feu.  

Sur l’île ionienne de Zante, où un petit incendie s’était déclaré, un avion bombardier d’eau s’est écrasé en opération sans faire de victimes, selon les pompiers.

De part et d’autre de la mer Egée, les soldats du feu luttaient contre les flammes, dans la région turque de Mugla et sur la péninsule grecque du Péloponnèse, où la situation s’est stabilisée dimanche.

« Combien de temps ce drame va-t-il durer ? »

Mais le principal cauchemar des autorités grecques reste la grande île montagneuse d’Eubée, ses villages réduits en cendres et ses épaisses pinèdes embrasées.

« Combien de temps ce drame va-t-il encore durer ? » a tweeté l’ancien premier ministre Alexis Tsipras. « Le nord d’Eubée brûle depuis six jours. Les autorités locales et ses habitants crient qu’ils sont désespérément seuls », a ajouté le dirigeant de l’opposition de gauche, dénonçant, comme beaucoup, le manque de moyens aériens et terrestres.

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Des résidants de Gouves, sur l’île d’Eubée, regardent les flammes qui ravagent les montagnes entourant le village.

« Les forces ne sont pas suffisantes » et « la situation est critique », a aussi martelé Giorgos Kelaïtzidis, le vice-gouverneur d’Eubée.  

Selon lui, au moins 35 000 hectares et des centaines de maisons ont brûlé.  

Le gouvernement grec assure pourtant que « les forces terrestres et aériennes livrent une grande bataille, sans interruption ». Mais les moyens aériens connaissent de « sérieuses difficultés » à cause des turbulences, des fumées épaisses et d’une visibilité limitée, a précisé M. Hardalias.

Malgré le relief accidenté, près de 500 pompiers poursuivaient leur combat acharné contre le feu dans le nord de l’île, embrasé d’est en ouest, enveloppé dans un épais nuage de fumée noir et orange, a constaté une équipe de l’AFP.

Parmi eux figurent quelque 200 pompiers arrivés d’Ukraine et de Roumanie, renforcés par dix-sept avions et hélicoptères bombardiers d’eau, selon les services grecs de lutte contre es incendies.

La France, qui a déjà dépêché sur place trois Canadair et 80 pompiers déployés au nord d’Athènes, a annoncé dimanche l’envoi de moyens supplémentaires.  

Le premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis a remercié tous ces pays. « Au nom du peuple grec, je tiens à exprimer notre sincère gratitude à tous les pays qui ont envoyé de l’aide », a-t-il tweeté. « Nous vous remercions d’être aux côtés de la Grèce en ces temps difficiles ».

« Abandonnés aux mains de Dieu »

D’une longueur évaluée à trente kilomètres, « le front est trop grand. On essaye de sauver le village mais les moyens sont insuffisants », s’est lamenté Nikos Papaioannou, un habitant de Gouvès. « C’est dramatique. On va tous finir à la mer ».

Quelque 2000 habitants de l’île ont été évacués par bateau et relogés dans des hôtels.

À Eubée, « 40 000 personnes vivront comme des morts-vivants ces prochaines années à cause de la destruction de la région », s’est désespéré sur Open TV Iraklis, qui vit à Istiaia.

Yannis Selimis, un habitant de Gouvès, pense aussi qu’il n’y aura « plus de travail pour les 40 prochaines années ».

Dans le village où beaucoup vivent de leurs terres, le jeune homme estime que « l’État est absent. Si les gens partent, les villages vont brûler […] On est abandonnés aux mains de Dieu ».  

« Le nord d’Eubée est presque rayé de la carte », a dénoncé Nasos Iliopoulos, le porte-parole de Syriza, le principal parti d’opposition. « C’est tragique de voir tant de feux hors de contrôle depuis des jours », a-t-il dit, y voyant de « graves responsabilités ».

Plus de 70 000 hectares sont partis en fumée jusqu’à présent cette année en Grèce, dont 56 000 ces dix derniers jours, selon le Système européen d’information sur les incendies de forêt (EFFIS). Quelque 1700 hectares avaient été ravagés par les flammes en moyenne sur ces dix jours d’été entre 2008 et 2020.