Les Pays-Bas et la Flandre belge pourraient-ils ne former qu’un seul pays ? C’est le fantasme du leader indépendantiste flamand Bart De Wever, qui a plaidé récemment pour une résurrection de ce vieux projet politique. Un « rêve » peu réalisable, estiment les experts. Explications.

De quoi parle-t-on au juste ?

Le leader nationaliste flamand Bart De Wever a lancé un pavé dans la mare la semaine dernière, en plaidant pour un rattachement de la Flandre aux Pays-Bas.

« Si je pouvais mourir en tant que Néerlandais du Sud, je mourrais plus heureux qu’en tant que Belge », a lancé le chef du parti séparatiste Nouvelle Alliance flamande, qui prône l’indépendance de la Flandre.

Bart De Wever a dit « rêver » depuis longtemps que tous les néerlandophones « vivraient un jour à nouveau ensemble, dans des Pays-Bas du Nord et du Sud ».

Cette nouvelle entité deviendrait selon lui « l’une des économies les plus fortes du monde », avec la fusion des deux plus grands ports d’Europe : celui d’Anvers, en Belgique, et celui de Rotterdam, aux Pays-Bas.

« Cela ressemble à une histoire fantastique pour moi », a-t-il ajouté.

Sa déclaration n’est pas passée inaperçue en Belgique, mais encore moins aux Pays-Bas, puisqu’elle a été faite à heure de grande écoute, sur le plateau d’une émission de télé néerlandaise bien connue, Trends Talk.

Qui est Bart De Wever ?

Maire de la ville d’Anvers et leader de la Nouvelle Alliance flamande (N-VA), principal parti de l’opposition au Parlement belge, Bart De Wever milite depuis des années pour l’indépendance de la Flandre, l’une des trois régions de Belgique, avec Bruxelles et la Wallonie.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE LA NOUVELLE ALLIANCE FLAMANDE

Bart De Wever, chef du parti séparatiste Nouvelle Alliance flamande

Parfois classé à l’extrême droite en raison de ses positions ambiguës sur la question migratoire, ce nationaliste convaincu estime que sa région, prospère, aurait les coudées plus franches sans le poids économique de la Wallonie, région francophone plus pauvre. Il argue par ailleurs que les deux régions ont peu en commun, tant sur le plan culturel que sur le plan linguistique.

Il souhaite négocier au plus tôt une réforme de l’État qui transformerait la Belgique en confédération.

Cette « séparation ordonnée », selon ses dires, serait un pas de plus vers une indépendance pure et simple de la Flandre. Elle pourrait, dans l’absolu, ouvrir la voie à une réunification de la Flandre et des Pays-Bas, deux États néerlandophones, qu’il considère comme plus compatibles que la Flandre et la Wallonie. Un peu comme si le Canada anglais se séparait du Québec pour se joindre aux États-Unis.

Un projet qui rend sceptique

Les déclarations de Bart De Wever ont fait sourciller de part et d’autre de la frontière.

« “Scepticisme” serait le mot approprié », résume le politologue néerlandais Simon Otjes, professeur à l’Université de Leiden, aux Pays-Bas.

Selon M. Otjes, le projet de Bart De Wever est vu comme « une idée bizarre » par la plupart des médias et la classe politique aux Pays-Bas.

Le seul politicien qui s’est montré ouvert à cette possibilité est le leader d’extrême droite Geert Wilders, qui partage les vues identitaires du premier ministre flamand… mais c’était en 2008 !

Même son de cloche en Belgique où la nouvelle a, semble-t-il, fait peu de vagues. « Les gens se sont demandé de quoi il parlait, car cette idée n’est franchement pas très répandue en Flandre, où elle paraît peu pertinente », souligne Carl Devos, professeur à l’Université de Gand.

Pareils, mais différents

Vrai que les deux territoires ont le néerlandais en commun. Mais Simon Otjes fait valoir qu’il y a aussi de profondes différences entre la Flandre et les Pays-Bas.

« [De Wever] se base sur l’idée que les gens de Flandre et des Pays-Bas parlent la même langue. Mais c’est comme si on vous parlait d’une fusion entre le Canada français et la Guyane française… L’idée d’abolir une frontière linguistique en pensant que ça résoudrait tout, c’est négliger le fait qu’il y a des frontières religieuses [une partie des Pays-Bas est protestante, la Flandre, majoritairement catholique] et culturelles très fortes entre les deux pays. »

Le politologue note que les deux entités collaborent déjà « étroitement » au sein du Benelux, zone de libre-échange entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg, ainsi que dans l’Union de la langue néerlandaise. Il remet en question dans la foulée la nécessité d’une fusion politique, même si une plus grande coopération entre les ports d’Anvers et de Rotterdam aurait d’indéniables retombées économiques.

Selon Carl Devos, il est d’ailleurs possible que le projet de Bart De Wever soit motivé par ses intérêts à Anvers, la ville dont il est le maire. Pour le reste, il confirme les dires de son collègue néerlandais.

Ce n’est pas parce que nous avons la même langue que nous partageons la même culture et les mêmes traditions. Au contraire, il y a même une sorte de compétition entre les Flamands et les Néerlandais. Nous ne sommes pas les meilleurs amis du monde et une majorité de Flamands ne souhaite pas cette réunification.

Carl Devos, professeur à l’université de Gand

Une histoire à rapiécer

La Flandre et les Pays-Bas n’ont déjà formé qu’un seul pays. Mais la chute d’Anvers en 1585, lors de la guerre de Quatre-Vingts Ans, a séparé les deux entités. Qui ont cohabité par moments jusqu’à l’indépendance officielle de la Belgique en 1830.

Depuis, le rêve d’une réunification refait surface de temps à autre. Avec le mouvement dit de « l’idéologie du Grand Pays-Bas ». Celui-ci a largement reculé après la fin de la Seconde Guerre mondiale, même si l’idée continue de circuler à bas bruit.

Questionné sur le sujet pendant l’émission Trends Talk, Bart De Wever a admis que les mentalités n’étaient pas mûres pour ce projet, qui ne semble pas susciter l’adhésion. Mais il a ajouté que les choses pourraient changer rapidement.

« Le fédéralisme était impensable en Belgique dans les années 1960, c’était la réalité dans les années 1970. Le confédéralisme est difficile à imaginer en Wallonie aujourd’hui, je pense que ce sera la réalité demain. Une confédération des Pays-Bas, avec 17 provinces, pourrait être une réalité après-demain », a-t-il souligné.