Le rêve d’indépendance n’est pas mort en Catalogne. Le pardon accordé fin juin, par Madrid, à neuf prisonniers politiques semble même marquer le début d’un nouveau chapitre. À Barcelone, le gouvernement séparatiste se prépare déjà à la suite des négociations, dans l’espoir d’un référendum agréé entre les deux parties. La Presse s’est entretenue avec Victòria Alsina Burgués, ministre catalane de l’Action étrangère.

Q. Le 23 juin, le premier ministre Pedro Sánchez a officiellement gracié les neuf prisonniers politiques catalans enfermés à Madrid pour leur implication dans le référendum illégal de 2017. Comment le mouvement souverainiste interprète-t-il ce geste d’ouverture de la part du gouvernement espagnol ?

R. Les neuf pardons ne sont pas la solution au conflit politique. Il ne faut pas oublier que certains des nôtres sont encore en exil et que des centaines de fonctionnaires font encore face à des accusations pour avoir simplement fait leur travail lors de l’organisation du référendum de 2017. C’est pourquoi nous demandons l’amnistie totale plutôt que ces simples pardons, comme le recommande d’ailleurs le Conseil européen.

PHOTO TIRÉE DU SITE DU GOUVERNEMENT DE CATALOGNE

Victòria Alsina Burgués, ministre catalane de l’Action étrangère

Q. À vos yeux, cette « grâce » n’est donc pas suffisante ?

R. C’est le point de départ pour s’asseoir à la même table et poursuivre les discussions. Nos deux gouvernements doivent en principe se rencontrer à la fin du mois de septembre, Madrid s’y est engagé.

Q. Le gouvernement espagnol s’est-il montré ouvert à vos demandes d’amnistie totale ?

R. Ce n’est pas très prometteur. Leur point de départ est assez loin du nôtre. Je pense qu’il faudra un moment avant que ça se stabilise et qu’on puisse avancer dans ces discussions. Leur point de vue est qu’ils ont déjà payé un prix politique en accordant ces pardons. Ils veulent profiter de cette table pour parler d’argent, de compétences ou d’infrastructures. Nous voulons l’utiliser exclusivement pour résoudre le conflit politique. Il faudra voir comment ça évolue.

Q. Certains ont perçu le geste de Pedro Sánchez comme un simple calcul politique en vue de sa réélection et non comme un geste de bonne volonté. Qu’en pensez-vous ?

R. Les pardons ont été annoncés le même jour où le Conseil européen recommandait à l’Espagne d’amnistier les prisonniers et les politiciens en exil. Ce n’est pas une coïncidence. Il y a eu beaucoup de pression de la communauté internationale. Dans les prochaines années, l’Espagne va aussi organiser le sommet de l’OTAN (2022) et assurer la présidence tournante de la Commission européenne (2023). Dans ce contexte, l’Espagne ne peut pas se permettre d’être isolée. Le gouvernement espagnol a aussi fait cette annonce avant un remaniement ministériel important, où de nouveaux visages ne pourront pas être associés à cette décision. Il souhaite se faciliter la tâche lors des prochaines élections, prévues dans deux ans.

Q. Le parti d’extrême droite Vox, très anti-indépendantiste, a fait son entrée au Parlement catalan avec 11 députés en février dernier, ce qui en fait le quatrième parti de Catalogne. Comment expliquez-vous ce score électoral ?

R. Vox est un bon exemple de ce qui se passe, non seulement en Catalogne ou en Espagne, mais dans le reste de l’Europe et plus largement dans le monde, avec la montée de partis politiques d’extrême droite. C’est une force qui est contre l’existence même de l’autonomie catalane. C’est aussi un parti machiste et raciste, qui représente le pire de l’extrême droite. Ils ont profité du recul du Parti populaire (droite) et de Ciudadanos (centre droit). Mais cela ne peut pas être uniquement expliqué par le conflit catalan. L’explication est plus large.

Q. Selon plusieurs sondages récents, l’appui pour l’indépendance en Catalogne n’excéderait pas les 45 %. Est-ce qu’il y aura un jour une majorité pour la cause ?

R. Des sondages différents montrent des résultats différents. Mais si vous regardez les résultats de la dernière élection régionale, vous verrez que 52 % ont voté pour des partis politiques qui défendent explicitement l’indépendance [le gouvernement catalan actuel est le résultat d’une alliance entre ces partis].

Q. Pensez-vous que le gouvernement espagnol, jusqu’ici très ferme sur la question, autorisera un jour la tenue d’un référendum en Catalogne ?

R. Je crois que les attentes sont basses du côté catalan. Si on écoute la société catalane, on voit que le niveau de désaffection est élevé. Il n’y a pas beaucoup d’espoir parce que les gens sont fatigués de ce conflit politique et du manque de perspective. Mais la société catalane veut encore se battre pour la démocratie.

Q. Comment raviver la flamme dans un mouvement fatigué ?

R. Ç’a été une année difficile pour le monde entier. Je crois que les gens sont profondément préoccupés par l’économie et cela a affecté tout le reste, y compris la question de l’indépendance catalane. Le mouvement est fatigué de tout ce qui s’est passé, mais en même temps, les 52 % de la dernière élection montrent qu’il y a encore un soutien stable pour la cause. Les gens veulent vraiment que ça se passe. Même sans attentes, ils ont hâte de voir ce que le dialogue donnera.

Q. Selon vous, le pardon aux neuf prisonniers politiques ouvre-t-il la voie au retour en Espagne de votre ancien président, Carles Puigdemont, exilé à Bruxelles depuis le référendum de 2017 ?

R. Carles Puigdemont a l’immunité dans le reste de l’Europe, car il est membre du Parlement européen. Je ne comprends pas qu’il puisse aller partout en Europe, mais ne puisse pas revenir en Espagne. J’espère que ce sera résolu plus tôt que tard.

Q. Il est question que M. Puigdemont vienne au Québec à l’automne, à l’invitation de souverainistes québécois. Qu’est-ce que les indépendantistes catalans ont appris de l’expérience canadienne ?

R. Que c’est possible de faire un référendum [rires] ! Que si les deux côtés ont la volonté politique, l’organisation d’un référendum donne le juste espace pour qu’une société puisse voter et décider sur un enjeu aussi important. L’exemple du Québec, et plus récemment de l’Écosse, nous permet d’expliquer ce que nous voulons concernant les prochaines étapes à suivre.