(Moscou) La police russe a perquisitionné mardi le domicile de plusieurs journalistes d’investigation et de leurs proches, sur fond de pressions accrues des autorités sur les médias indépendants en Russie.

Proïekt, un site indépendant spécialisé dans le journalisme d’investigation, a annoncé mardi que des raids avaient eu lieu chez son rédacteur en chef Roman Badanine et l’une de ses journalistes, Maria Jolobova.

PHOTO PAVEL GOLOVKINE, ASSOCIATED PRESS

La journaliste russe Maria Jolobova, à l’entrée de son appartement après une perquisition à Moscou, en Russie, le mardi 29 juin 2021. Les autorités russes ont perquisitionné mardi matin les appartements de plusieurs journalistes d’enquête et des membres de leurs familles, une action qui vient ajouter à la pression de l’État sur les médias indépendants russes.

Un autre journaliste et rédacteur en chef adjoint, Mikhaïl Roubine, a été interpellé alors que la police perquisitionnait l’appartement de ses parents, selon un communiqué publié par ce média sur la messagerie Telegram.

Révélations sur un proche de Poutine et sur un ministre

Ces perquisitions interviennent avant la publication annoncée d’une enquête sur les richesses présumées du ministre de l’Intérieur Vladimir Kolokoltsev, selon Proïekt. « Mais nous allons la publier de toute façon », a assuré le site.

M. Badanine figure comme suspect dans une affaire pour diffamation remontant à 2017, a précisé son avocate Anna Bogatyriova à la chaîne de télévision indépendante Dojd.

En 2017, cette chaîne avait diffusé une enquête sur un homme d’affaires controversé, Ilia Traber, qui aurait des liens avec le président Vladimir Poutine. L’enquête a été tournée par Roman Badanine, rédacteur en chef de Dojd à l’époque, Maria Jolobova et d’autres journalistes.

La police russe a confirmé dans un communiqué que les perquisitions ont été menées dans le cadre de cette affaire, citant Roman Badanine et Maria Jolobova comme auteurs de ce film.

Le délai de prescription pour cette affaire a pourtant expiré en 2019, selon l’avocat Pavel Tchikov, qui dirige l’association de défense des droits humains Agora.

Pour sa part, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a indiqué à la presse mardi que M. Poutine « connaissait le nom » de M. Traber, tout en assurant ignorer s’il y avait des liens amicaux ou d’affaires entre les deux hommes.  

Dans un communiqué, l’ONG Amnistie internationale a qualifié les perquisitions d’« attaque effrontée contre la presse indépendante et la liberté en Russie », ainsi qu’un exemple de « la purge systématique visant les voix critiques qui exposent les malversations de ceux au pouvoir ».

Enquêtes sur la corruption des élites russes

Fondé en 2018, Proïekt est notamment connu pour ses enquêtes sur la corruption des élites russes.  

Un article affirmait par exemple que le dirigeant tchétchène controversé Ramzan Kadyrov avait une deuxième femme possédant des biens immobiliers pour des centaines de millions de roubles.  Un autre a assuré que le président russe Vladimir Poutine avait une fille cachée, dont la mère aurait fait fortune. Le Kremlin a démenti ces affirmations.

Les détracteurs du pouvoir accusent les autorités russes d’avoir muselé ou réprimé les médias au cours des deux décennies au pouvoir de M. Poutine.

Derniers exemples en date, le réputé média en ligne Meduza, basé en Lettonie, a été déclaré en avril « agent de l’étranger », qualificatif infamant qui implique de lourdes contraintes et de potentielles amendes, ce qui l’a amputé d’importantes ressources publicitaires.  

En juin, un autre média, VTimes, a annoncé sa fermeture par crainte de poursuites judiciaires, après avoir été classé lui aussi « agent de l’étranger ».

Les autorités ont également multiplié les offensives judiciaires contre l’opposition, à l’approche des législatives de septembre. Ainsi, les organisations du principal opposant incarcéré Alexeï Navalny ont été déclarées « extrémistes » et interdites le 9 juin. Ses membres sont bannis des élections.