(Madrid) Toute personne de nationalité espagnole âgée d’au moins 16 ans, voire dans certains cas de seulement 14 ans, pourra sur simple demande changer la mention de son sexe au registre de l’état civil, si un projet de loi adopté mardi par le gouvernement de gauche de Pedro Sánchez est approuvé par le Parlement.

Ce texte, qui a créé de fortes tensions entre les socialistes et le parti de gauche radicale Podemos, alliés au sein de la coalition minoritaire au pouvoir, ferait de l’Espagne un des rares pays en Europe à permettre l’autodétermination du genre.

Le texte, a affirmé la ministre de l’Égalité Irene Montero lors d’une conférence de presse à l’issue du Conseil des ministres, permettra « de garantir l’égalité réelle et effective des personnes trans », ainsi qu’« un ensemble important de droits pour les personnes LGTB, actuellement bafoués dans notre pays ».

Toute personne de nationalité espagnole de 16 ans et plus pourra demander la rectification de la mention de son sexe inscrite au registre de l’état civil.

Extrait d’une version préliminaire du projet de loi.

En clair, cette loi permettra à une personne de faire changer son nom et son genre sur ses papiers d’identité si elle le souhaite, sans avoir à fournir de rapports médicaux ou à subir un traitement hormonal.

Choisir « sur la simple base de la volonté ou du désir »

« Nous reconnaissons ainsi le droit à la libre détermination de l’identité de genre, nous nous engageons sur la “dépathologisation”, c’est-à-dire que les personnes trans ne seront plus considérées comme malades dans notre pays », a expliqué Mme Montero, membre de Podemos et farouchement en faveur de l’autodétermination en matière de genre.  

C’est ce point en particulier qui a fait éclater les dissensions au sein du gouvernement : la numéro deux du gouvernement, Carmen Calvo (socialiste), avait ainsi dit en février être « fondamentalement préoccupée par l’idée que le genre se choisisse sur la simple base de la volonté ou du désir, fragilisant les critères d’identité du reste des 47 millions d’Espagnols ».

L’autodétermination du genre a été un sujet qui s’est « compliqué » ces dernières années, souligne Uge Sangil, présidente de la Fédération nationale des lesbiennes, gais, trans et bisexuels.

Dans un entretien mardi avec l’AFP, elle évoque notamment « des voix discordantes » provenant d’un « mouvement féministe exclusif », par opposition au féminisme inclusif qui défend les droits des transgenres. Un féminisme, selon Uge Sangil, qui « se rapproche plus du discours de l’ultradroite que des voix à gauche ».  

Une accusation que réfute Tasia Aránguez, membre du collectif féministe « Contre l’effacement des femmes », qui dénonce une loi « dépourvue de garanties juridiques » qui pourrait par exemple « permettre à des hommes avec des antécédents judiciaires d’agressions sexuelles de changer de sexe », et demande le maintien de l’obligation d’un diagnostic médical.

Ouvert aux 14-16 ans si consentement des tuteurs légaux

Les deux partis de la coalition ont fini par s’entendre en incluant un délai de trois mois entre le dépôt de la demande et sa validation par le requérant afin qu’il puisse confirmer sa décision de changer de genre.

Trois mois maximum après l’enregistrement de la requête, « la personne responsable du registre de l’état civil devra convoquer la personne pour qu’elle ratifie sa demande et qu’elle certifie la persistance de sa décision », stipule le texte, qui prévoit également d’ouvrir cette possibilité aux 14-16 ans s’ils sont accompagnés tout au long du processus par leurs représentants légaux.

Avec cette loi, « je n’aurais pas eu à donner autant d’explications, je n’aurais pas eu à vivre cette honte quand un policier m’a demandé en se moquant ma carte d’identité… et plein d’autres choses encore que j’ai vécues », affirme Sandra Herrero Ventura, 23 ans.

« Dysphorie de genre »

Née Mario, Sandra a dû suivre une thérapie psychiatrique, un traitement hormonal à 17 ans, une vaginoplastie à 19 ans et a pu changer de nom à 20 ans grâce à un rapport médical attestant d’une « dysphorie de genre ».

Pour Urge Sangil, le pays modèle est l’Argentine, « où la démarche est beaucoup plus simple », et où depuis 2012 le changement se fait sur simple déclaration.  

Au sein de l’Union européenne, les droits des personnes trans restent très variables.

En 2014, le Danemark a été le premier pays européen à accorder le droit à l’autodétermination de l’identité des personnes transgenres. La France, qui a été en 2010 le premier pays au monde à sortir le transsexualisme de la liste des affections psychiatriques, autorise depuis 2017 la modification de l’état civil sans avoir « à justifier de traitements médicaux, opération chirurgicale ou stérilisation », mais moyennant une procédure devant les tribunaux.  

Les pays qui permettent aux transgenres de changer d’état civil

Avant l’Espagne, dont le gouvernement a présenté mardi un projet de loi sur le genre, certains pays ont récemment fait évoluer leur législation pour permettre aux personnes transgenres, qui ne se reconnaissent pas dans le sexe qui leur est assigné à leur naissance, de faire modifier leur état civil.

Le projet de loi du gouvernement espagnol prévoit que ce changement pourra se faire librement par une simple déclaration à l’administration.

Une reconnaissance encore exceptionelle

Ce n’est que depuis 2019 que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ne considère plus le transexualisme comme une maladie mentale.

Selon l’Association internationale lesbienne et gaie (ILGA), au moins 25 États membres de l’ONU « autorisent la reconnaissance juridique du genre sans exigences prohibitives ».

Dans certains pays, les démarches administratives ou judiciaires peuvent en effet durer des années et inclure l’obligation d’un diagnostic psychiatrique, d’un traitement hormonal, d’une opération de réassignation sexuelle ou encore d’une stérilisation, une situation dénoncée par les organisations de défense des droits humains et des droits des LGBT+.

Seuls une quinzaine de pays permettent aux personnes transgenres de faire modifier leur état civil sur une simple déclaration.

L’Argentine pionnière

L’Argentine fait figure de précurseur, autorisant depuis 2012 le changement de genre à l’état civil sur simple déclaration.

Plusieurs pays latino-américains ont adopté ces dernières années des lois similaires, comme l’Uruguay, la Colombie, la Bolivie, l’Équateur et le Pérou.

Au Chili, la loi sur l’identité de genre, entrée en vigueur fin 2019 après des années d’âpres débats, a été portée par le succès d’Une femme fantastique, un film interprété par l’actrice transgenre Daniela Vega, qui a remporté l’Oscar du meilleur film étranger.

Le Danemark précurseur en Europe

En 2010, le Conseil de l’Europe (organisation comptant 47 États membres) a adopté une résolution demandant à ses États membres de garantir le droit des personnes transgenres à obtenir « des documents officiels reflétant l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir une stérilisation ou d’autres procédures médicales comme une opération de conversion sexuelle ou une thérapie hormonale ».

En 2014, le Danemark a été le premier pays européen à accorder le droit à l’autodétermination de l’identité des personnes transgenres.

D’autres pays du continent lui ont ensuite emboîté le pas, à l’instar de Malte, la Suède, l’Irlande, la Norvège ou la Belgique.

La France, qui a été en 2010 le premier pays au monde à sortir le transsexualisme de la liste des affections psychiatriques, permet depuis 2017 aux personnes transgenres de modifier leur état civil sans avoir « à justifier de traitements médicaux, opération chirurgicale ou stérilisation », mais moyennant une procédure devant les tribunaux.

La Hongrie fait marche arrière

La Hongrie, dont une loi est actuellement dénoncée par une majorité des pays européens comme discriminatoire envers les personnes LGBT, avait déjà interdit en 2020 l’inscription du changement de sexe à l’état civil et la reconnaissance juridique de l’identité de genre des personnes transgenres.

Auparavant, elles étaient autorisées à demander un changement de sexe auprès de l’état civil.

Troisième genre

Par ailleurs, quelques pays dans le monde reconnaissent un troisième genre, ni masculin ni féminin.

En 2009, le Pakistan est devenu un des premiers pays au monde à reconnaître l’existence d’un troisième sexe.

En 2013, le Népal a ajouté une catégorie transgenre sur les certificats de citoyenneté, qui font office de carte nationale d’identité.

L’Australie permet depuis 2013 d’ajouter une troisième catégorie aux passeports pour que les personnes transgenres n’aient plus à se définir comme homme ou femme.

En 2014, la Cour suprême indienne a reconnu l’existence d’un troisième genre.

Au Bangladesh, les personnes transgenres ont pu, à partir de 2018, s’enregistrer pour voter en tant que troisième genre.

Pour sa part, l’Allemagne a légalisé en 2018 un « troisième genre » sur les certificats de naissance.