(Madrid et Barcelone) La droite espagnole a mobilisé dimanche des milliers de personnes dans le centre de Madrid pour dénoncer la volonté du premier ministre Pedro Sanchez de gracier les indépendantistes catalans condamnés pour la tentative de sécession de 2017.

Convoquée à la mi-journée sur la place Colon, choisie pour l’immense drapeau espagnol qui y flotte, cette manifestation a rassemblé 25 000 personnes, selon la police.  

Pablo Casado et Santiago Abascal, les numéros un du Parti populaire (PP), le principal parti d’opposition, et de la formation d’extrême droite Vox, étaient présents avec d’autres personnalités de droite.

« Sanchez doit prendre note : il va les gracier (les indépendantistes), mais les Espagnols ne le gracieront pas », a lancé José Luis Martínez Almeida, le maire de Madrid et porte-parole du PP.

En février 2019, la droite avait déjà rassemblé au même endroit des dizaines de milliers de personnes pour appeler M. Sanchez à démissionner, l’accusant d’avoir « trahi » l’Espagne en dialoguant avec les indépendantistes catalans.

Alors que cette grâce, qui pourrait être officialisée avant la coupure estivale, suscite une grande controverse dans le pays, le premier ministre la défend comme un geste d’apaisement en vue de trouver une issue à la crise en Catalogne.  

« Je comprends que des citoyens puissent avoir des objections […] en pensant à ce qui s’est passé en 2017. Mais je leur demande […] de la compréhension et de la magnanimité, car le défi que nous avons devant nous, c’est-à-dire la coexistence, en vaut la peine », a-t-il déclaré mercredi lors d’une visite en Argentine.

Mais la droite accuse, elle, le socialiste de faire une nouvelle concession aux indépendantistes catalans dont dépend en partie son gouvernement minoritaire au Parlement.  

« La seule chose que veut Sanchez, c’est se maintenir au pouvoir à n’importe quel prix », a déclaré à l’AFP Pablo Martínez, un manifestant venu d’Oviedo (nord de l’Espagne) avec sa femme et sa fille.  

Le Tribunal suprême, qui a jugé ces indépendantistes en 2019, s’est opposé à cette mesure dans un rapport remis récemment, justifiant son avis par le fait que les condamnés n’ont « pas montré le moindre signe de repentir ».

Pour la plupart ex-membres du gouvernement régional séparatiste de Carles Puigdemont, ces douze indépendantistes ont été condamnés pour leur rôle dans l’organisation d’un référendum d’autodétermination le 1er octobre 2017, pourtant interdit par la justice et qui avait été suivi quelques semaines plus tard par une déclaration unilatérale d’indépendance.

Sur ces douze, neuf purgent des peines de prison allant de 9 à 13 ans. Dont Oriol Junqueras, leader du parti Gauche républicaine de Catalogne (ERC), allié clé du gouvernement Sanchez au Parlement.

« Coût élevé » politiquement

Dans une lettre ouverte publiée lundi, ce dernier a fait un pas vers le premier ministre en se montrant favorable à une grâce, alors que les indépendantistes exigeaient une amnistie, et en faisant l’autocritique de la dimension unilatérale de la tentative de sécession dont il a été l’un des protagonistes.

« Nous devons être conscients que notre réponse n’a pas non plus été perçue comme pleinement légitime par une partie de la société », a-t-il écrit.

La frange la plus radicale du mouvement indépendantiste – qui comprend le parti de Carles Puigdemont, qui a fui en Belgique en 2017 – prône en revanche toujours la voie unilatérale.

À la tête du gouvernement régional catalan depuis quelques semaines, avec le modéré Pere Aragonés, ERC prône le dialogue avec le gouvernement espagnol, à qui il veut réclamer un accord sur l’organisation d’un référendum d’autodétermination. Une revendication déjà rejetée par Madrid.

Le dialogue formel entre gouvernement espagnol et gouvernement régional catalan – lancé début 2020 en échange de l’appui d’ERC à la reconduction au pouvoir de M. Sanchez, mais suspendu à cause de la pandémie – doit reprendre prochainement.  

Et en amont de ces discussions, « tous les dirigeants indépendantistes ont conscience » que la concession que va faire Pedro Sanchez avec cette grâce « est une décision dont le coût est élevé pour le Parti socialiste. Car s’il y a une majorité en faveur de la grâce en Catalogne, une majorité est contre en Espagne », souligne Ana Sofía Cardenal, professeure de sciences politiques à l’Université ouverte de Catalogne.