(Varsovie) Les gouvernements allemand et britannique ont protesté vendredi contre l’interview d’un journaliste d’opposition biélorusse arrêté après l’interception de son avion par le régime de Minsk, dénonçant une mise en scène « honteuse » et « sous la contrainte ».

Dans cet entretien diffusé jeudi soir par la chaîne publique biélorusse ONT, Roman Protassevitch, 26 ans, le visage tendu, dit avoir appelé à des manifestations l’année dernière et fait l’éloge du président Alexandre Loukachenko.  

À la fin de cette vidéo d’une heure et demie, il se met à pleurer et se couvre le visage avec les mains. Des traces rouges sont visibles sur ses poignets, laissant penser à des blessures infligées par des menottes.  

La directrice du programme Europe de l’Est et Asie centrale d’Amnistie internationale, Marie Struthers, a déclaré dans un communiqué que Roman Protassevitch avait des « blessures visibles » aux poignets et que l’interview montrait qu’il était « soumis à une pression psychologique intolérable ».  

« Il s’agissait d’une coercition télévisée », a-t-elle estimé.

Le 23 mai, Roman Protassevitch avait été arrêté avec sa compagne russe Sofia Sapega quand leur vol Ryanair reliant Athènes à Vilnius avait été intercepté par un avion de chasse biélorusse, suscitant un tollé international.

Le militant est l’ex-rédacteur en chef de la chaîne d’opposition Nexta, qui a joué un rôle clé dans le mouvement de protestation historique contre la réélection en août 2020 de M. Loukachenko.  

« Mépris des êtres humains »

Le porte-parole du gouvernement allemand, Steffen Seibert, a qualifié de « honte » la diffusion de cet entretien. Selon lui, il traduit « le mépris total pour la démocratie » des dirigeants biélorusses, mais aussi « pour les êtres humains ».  

La chef de la diplomatie britannique, Dominic Raab, a lui pourfendu une interview « clairement réalisée sous la contrainte » et a demandé que toutes les personnes impliquées dans le tournage soient tenues responsables.  

Dans la matinée, la cheffe de l’opposition biélorusse en exil, Svetlana Tikhanovskaïa, a appelé à ne pas tenir compte des mots de Roman Protassevtich : « La tâche des prisonniers politiques est de survivre », a-t-elle déclaré à la presse à Varsovie.

« À l’aide de la violence, vous pouvez faire dire à une personne ce que vous voulez », a encore souligné celle qui s’était présentée aux élections de 2020 contre Alexandre Loukachenko.  

Le père du dissident emprisonné, Dmitry Protassevitch, a lui déclaré jeudi à l’AFP que la vidéo était le résultat « d’abus, de tortures et de menaces ».  

« Ils l’ont brisé et l’ont forcé à dire ce qu’ils voulaient », a-t-il insisté.  

Les autorités biélorusses accusent Roman Protassevitch d’avoir contribué à l’organisation d’émeutes de masse, un crime passible de 15 ans de prison.

Le président russe Vladimir Poutine, soutien clé de M. Loukachenko depuis la mobilisation qui a fait vaciller son pouvoir après sa réélection contestée en août dernier, a démenti toute implication de la Russie dans cette arrestation. « Je ne veux même pas me pencher sur cette question, cela n’a rien à voir avec nous », a-t-il déclaré vendredi lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg.

Il a également déclaré ne pas savoir qui était Roman Protassevitch. « Je ne le connais pas et je ne veux pas le connaître, qu’il fasse ce qu’il veut », a-t-il dit.

Désaccord des compagnies aériennes

En réaction à l’arrestation de Roman Protassevich et Sofia Sapega, l’Agence européenne de sécurité aérienne (EASA) a décidé mercredi d’interdire aux appareils volant sous pavillon européen d’entrer dans l’espace aérien biélorusse.  

Cette mesure a toutefois été dénoncée vendredi par l’Association du transport aérien international (IATA) qui rassemble 290 compagnies représentant 82 % du trafic mondial.

Dans un communiqué, l’IATA a regretté une prohibition revenant à « politiser la sécurité aérienne » et un « développement rétrograde et décevant ».

L’Union européenne a également décidé vendredi d’interdire l’accès de son espace aérien aux compagnies de la Biélorussie, en particulier la compagnie nationale Belavia, et finalise de nouvelles sanctions économiques contre Minsk, ont indiqué à l’AFP plusieurs sources diplomatiques.

Immédiatement après leur arrestation, Roman Protassevich et Sofia Sapega étaient déjà apparus dans des vidéos de « confession » qui, selon leurs partisans, ont également été réalisées sous la contrainte, une pratique utilisée de longue date par le régime d’Alexandre Loukachenko.  

Dès le début des manifestations en 2020, les autorités biélorusses ont lancé une répression brutale qui a fait au moins quatre morts, détenant et emprisonnant des milliers de manifestants et poussant les dirigeants de l’opposition à l’exil.