(Barcelone) Le premier ministre de gauche espagnol Pedro Sanchez prépare le terrain à une grâce des indépendantistes catalans condamnés pour la tentative de sécession de 2017, une décision risquée politiquement pour son gouvernement minoritaire.  

« Il y a un temps pour la punition et un temps pour l’entente », a dit le dirigeant socialiste mercredi à la Chambre des députés, face à une opposition de droite chauffée à blanc par l’éventualité d’une telle grâce.

Au-delà de la droite, qui ne cesse d’accuser Sanchez de céder aux séparatistes catalans, la justice s’est également prononcée contre cette mesure.

La Cour suprême est contre

La Cour suprême, qui avait condamné ces douze dirigeants indépendantistes en octobre 2019, a expliqué mercredi être opposée à « toute grâce partielle ou totale » dans un rapport qui n’a rien de contraignant pour l’exécutif.

La plus haute institution judiciaire espagnole a notamment mis en avant l’absence « de preuve ou d’indice de repentir » de ces anciens membres du gouvernement régional ou dirigeants d’organisations indépendantistes.

Sur ces douze séparatistes, neuf purgent des peines comprises entre 9 et 13 ans de prison. Parmi eux, Oriol Junqueras, le président du parti Gauche républicaine de Catalogne (ERC), allié clé du gouvernement espagnol au Parlement.  

Ils avaient été condamnés principalement pour sédition en raison de leur rôle dans l’organisation en octobre 2017 d’un référendum d’autodétermination, interdit par la justice et émaillé de violences policières, qui avait été suivi quelques semaines plus tard par une déclaration unilatérale d’indépendance.

Jeu politique « à haut risque »

« C’est une décision politique » de Sanchez, mais « le jeu est très, très risqué et peut mal tourner » pour le premier ministre, estime Oriol Bartomeus, professeur de Sciences politiques à l’Université Autonome de Barcelone.

Selon lui, la grâce « est une condition sine qua non pour régler le problème de la Catalogne », qui envenime la politique espagnole depuis des années, et favoriser « la stabilité du gouvernement à la Chambre des députés », où la coalition entre les socialistes et la gauche radicale de Podemos est minoritaire et dépend en partie des indépendantistes.

Mais une telle décision sera utilisée par la droite « comme élément mobilisateur » pour attaquer le gouvernement et « grignoter du terrain auprès de l’électorat socialiste » dont une partie voit d’un très mauvais œil les indépendantistes, ajoute-t-il.

L’épineuse question de la grâce des dirigeants indépendantistes est depuis des mois un dossier prioritaire pour le chef du gouvernement qui souhaite, depuis son arrivée au pouvoir en 2018, trouver une solution à la crise en Catalogne.

Mardi, depuis Bruxelles, M. Sanchez avait déjà expliqué qu’il trancherait en se basant sur des valeurs comme « la concorde, le dialogue, la compréhension » et non sur « la vengeance ou la revanche ».

« Respecter la loi, ce n’est pas être dans la vengeance et défendre l’unité nationale, ce n’est pas de la revanche », lui a répondu mercredi le chef de l’opposition de droite Pablo Casado, à la tête du Parti populaire.

Regonflé par la victoire écrasante de sa formation début mai aux élections régionales à Madrid, le PP a d’ores et déjà indiqué qu’il contesterait une éventuelle grâce devant la Cour suprême.

Les indépendantistes réclament une amnistie

À Barcelone, le nouveau président régional catalan tout juste intronisé, l’indépendantiste Pere Aragonés, a réagi avec peu d’enthousiasme aux annonces de Pedro Sanchez.

« Notre proposition, c’est l’amnistie, mais […]  nous ne nous opposerons à aucune mesure qui pourrait soulager la douleur des prisonniers », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse, en référence aux indépendantistes incarcérés.  

« Nous attendons une solution juste et le plus rapidement possible », a-t-il ajouté.

Solution inconcevable pour le gouvernement central, l’amnistie permettrait de mettre également fin aux poursuites contre les indépendantistes ayant fui à l’étranger après l’échec de la tentative de sécession de 2017, à l’image de l’ex-président régional Carles Puigdemont.

Figure modérée de l’indépendantisme, M. Aragonés veut, comme le gouvernement central, reprendre les négociations entamées avant la pandémie pour tenter de trouver une issue à la crise catalane.  

Mais il a promis à ses partisans d’y réclamer également l’organisation d’un référendum d’autodétermination, une hypothèse dont Madrid ne veut pas non plus entendre parler.