(Minsk) Un chasseur biélorusse a intercepté dimanche un avion de ligne de la compagnie RyanAir à bord duquel se trouvait un militant de l’opposition qui a été arrêté à son arrivée à Minsk, suscitant une menace de l’Union européenne de prendre de nouvelles sanctions et une demande de l’OTAN d’ouvrir « une enquête internationale ».

Le média d’opposition biélorusse Nexta a annoncé que son ancien rédacteur en chef Roman Protassevitch avait été interpellé après l’atterrissage d’urgence à l’aéroport de la capitale de la Biélorussie du vol FR4978, un Boeing 737-800 effectuant la liaison Athènes-Vilnius.

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Le militant d’opposition Roman Protassevitch lors d’une comparution à Minsk, en avril 2017.

La télévision d’État biélorusse a ensuite confirmé son arrestation à Minsk.

En début de soirée, l’appareil a finalement pu reprendre son vol à destination de la Lituanie, un pays balte membre de l’Union européenne, où il s’est posé avec plusieurs heures de retard sur l’horaire prévu – sans M. Protassevitch.

« Il s’est juste tourné vers les gens et a dit qu’il risquait la peine de mort », a déclaré une passagère lituanienne du vol, Monika Simkiene, 40 ans.

Il ne criait pas, mais c’était visible qu’il avait très peur. On aurait dit que si le hublot avait été ouvert, il aurait sauté.

Edvinas Dimsa, 37 ans, qui était dans le même avion

Les dirigeants de l’UE avaient appelé de concert les autorités biélorusses à laisser l’avion repartir et à permettre à « tous ses passagers » de poursuivre leur voyage.

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L’appareil de Ryanair a dû atterrir d’urgence à l’aéroport de Minsk.

Réunis en sommet lundi et mardi à Bruxelles, les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Sept discuteront de « possibles sanctions » contre la Biélorussie, en plus de celles le visant déjà et qui ont conduit son président Alexandre Loukachenko à se rapprocher davantage de son homologue russe Vladimir Poutine.  

L’Union européenne a fustigé « une action complètement inacceptable » de Minsk, à l’instar de l’Allemagne, la France et la Pologne, tandis que le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg a réclamé des investigations sur cet « incident sérieux et dangereux ».

La Lituanie et la Lettonie ont appelé les vols internationaux à ne plus passer par l’espace aérien biélorusse.

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Le président Alexandre Loukachenko

Les autorités biélorusses ont affirmé que le Boeing avait dévié de sa trajectoire à cause d’une « alerte à la bombe ». Nexta a pour sa part assuré que l’atterrissage d’urgence avait été provoqué par une « bagarre » qu’avaient déclenchée des agents des services de sécurité biélorusses présents à son bord, selon lesquels un engin explosif y avait été introduit.

L’aéroport de Minsk, cité par l’agence de presse officielle Belta, a déclaré que l’alerte à la bombe ayant entraîné un atterrissage d’urgence vers 12 h 15 GMT s’était révélée « erronée » après une fouille de l’appareil.

Alexandre Loukachenko a de son côté personnellement donné l’ordre à un chasseur MiG-29 de l’intercepter après cette alerte, a dit son service de presse.

À l’été et à l’automne derniers, le président biélorusse avait été confronté à mouvement de contestation historique ayant rassemblé pendant plusieurs semaines des dizaines de milliers de personnes à Minsk et dans d’autres villes, une mobilisation énorme pour un pays d’à peine 9,5 millions d’habitants.

Mais la protestation s’est progressivement essoufflée face à des arrestations massives, des violences policières ayant fait au moins quatre morts, un harcèlement judiciaire permanent et de lourdes peines de prison infligées à des militants et à des journalistes.

« Acte abject »

En novembre, les services de sécurité biélorusses (KGB), hérités de la période soviétique, avaient inscrit les noms de M. Protassevitch, âgé de 26 ans, et du fondateur de Nexta, Stepan Poutilo, sur la liste des « individus impliqués dans des activités terroristes ».

Son actuel rédacteur en chef, Tadeusz Giczan, a raconté que « quand l’avion est entré dans l’espace aérien biélorusse », des agents du KGB, soutenant qu’une bombe était à l’intérieur, avaient « déclenché une bagarre avec le personnel de Ryanair ».

« L’avion a été vérifié, aucune bombe n’a été trouvée, et tous les passagers ont été envoyés faire un contrôle de sécurité », selon Nexta.

Contactée par l’AFP, une porte-parole des aéroports lituaniens a dit avoir reçu comme première explication de la part de l’aéroport de Minsk un conflit entre des passagers et l’équipage.

D’après les images du site internet spécialisé flightradar24, le Boeing a été intercepté au-dessus du territoire biélorusse, juste avant la frontière avec la Lituanie.  

Roman Protassevitch est un ancien rédacteur en chef de Nexta, un média ayant joué un rôle clé dans la récente vague de contestation de la réélection en 2020 du président Loukachenko, qui occupe ces fonctions depuis 1994.

Fondé en 2015, Nexta (« Quelqu’un » en biélorusse) avait notamment coordonné les rassemblements à travers la Biélorussie, diffusant des mots d’ordre et permettant de partager les photos et les vidéos des rassemblements et des violences.

L’arrestation du militant a été immédiatement condamnée par la figure de l’opposition biélorusse en exil en Lituanie, Svetlana Tikhanovskaïa. Sur Twitter, elle a souligné qu’il encourait « la peine de mort », que la Biélorussie est le dernier en Europe à appliquer.  

Le président lituanien, Gitanas Nausėda, dont le pays a également accordé le statut de réfugié à Roman Protassevitch, a quant à lui accusé le régime biélorusse d’avoir été derrière cet « acte abject »

L’Allemagne a réclamé une « explication immédiate », la France, qui a convoqué l’ambassadeur de la Biélorussie à Paris, a dénoncé un « détournement » d’avion « inacceptable » et la Pologne un « acte de terrorisme d’État ».

Le Royaume-Uni a de son côté averti le régime de Minsk qu’il s’exposait à de « graves conséquences ».