L’enlèvement d’une petite fille en France a fait couler beaucoup d’encre depuis 10 jours. Au cœur de l’histoire se trouveraient un personnage antisystème actif sur les réseaux sociaux, soupçonné d’avoir été en contact avec les ravisseurs à partir de l’étranger… et des kidnappeurs convaincus d’avoir été en mission pour « sauver » une enfant.

Mia, 8 ans, a été retrouvée saine et sauve en Suisse dimanche avec sa mère, qui n’en avait pas la garde. La femme de 28 ans est soupçonnée d’avoir commandité le kidnapping de sa fille survenu cinq jours plus tôt.

L’enlèvement aurait été conçu « comme une opération de type militaire », a dit le procureur de la République de Nancy, François Pérain. Elle portait même un nom : opération Lima.

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François Pérain, procureur de la République de Nancy, en conférence de presse, le 18 avril

Se faisant passer pour des travailleurs sociaux, trois hommes se sont présentés le 13 avril au domicile de la grand-mère maternelle de Mia, qui en avait la garde. Ils auraient été munis de faux documents avec l’en-tête du ministère de la Justice. Une vaste opération policière a été déclenchée lorsque la femme s’est aperçue du subterfuge.

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Vue de la maison de la grand-mère maternelle de Mia, aux Poulières, en France

Quatre hommes de 23 à 60 ans ont été arrêtés. Dans une cause chère à certains adeptes de la mouvance complotiste, ils auraient voulu restituer l’enfant à sa mère, privée de contacts téléphoniques et de rencontres seule à seule avec sa fille depuis peu. Lola Montemaggi a été décrite comme une femme désirant vivre en marge de la société, à qui la Justice refusait la garde de son enfant.

Tout ce qui touche à la protection de la petite enfance, aux fantasmes d’agressions envers la petite enfance, à la pédocriminalité ou au pédosatanisme chez les QAnon est une figure, un motif récurrent dans cet univers complotiste.

Tristan Mendès France, enseignant à l’Université de Paris et collaborateur de l’Observatoire du conspirationnisme, à l’Agence France-Presse

Mandat international

Un homme dans la cinquantaine, Rémy Daillet, est soupçonné d’avoir coordonné l’enlèvement. Interviewé par différents médias français, il a refusé de commenter son rôle présumé dans cette affaire, tout en félicitant les ravisseurs. « Ces gens courageux ont fait ce qu’il fallait en bons pères de famille », a-t-il dit à la chaîne Europe 1. « Un enlèvement, c’est quand on enlève un enfant à sa famille, pas quand on le restitue à sa maman », a-t-il déclaré à La Dépêche du Midi.

Le Français, qui vit en Malaisie depuis plusieurs années, est visé par un mandat d’arrestation international.

Son discours en ligne dénonce le rôle de l’État, dans la gestion de la COVID-19 comme sur d’autres points. Il appelle les parents à faire l’école à la maison et s’est dit partisan d’un coup d’État en France.

Il resterait tout de même une « figure très marginale » de la mouvance conspirationniste, selon M. Mendès France.

Il ne faut d’ailleurs pas surestimer les mouvements complotistes, met en garde Alessandro Leiduan, maître de conférences rattaché à l’Université de Toulon, dans une entrevue avec La Presse. « Je pense que ce n’est pas nécessairement pour protéger les nouvelles générations que les personnes finissent par être vulnérables aux récits complotistes », avance-t-il, commentant l’importance accordée aux enfants dans certaines théories. « La cause qui favorise la vulnérabilité sociale aux théories du complot est à chercher, à mon avis, dans une forme d’impuissance. Impuissance sociale caractérisée par la crise de la démocratie. »

L’enlèvement de Mia s’inscrit selon lui dans la même lignée que d’autres groupes ayant voulu se soustraire à l’État. « L’univers des sectes, de groupes de fanatiques qui voulaient s’isoler de la société et mener une vie à part existe depuis longtemps, en France, en Suisse, en Europe, il y a eu plusieurs cas [médiatisés] », note-t-il.

Même si la Malaisie n’a pas d’accord d’extradition avec la France, un responsable de la police malaisienne a indiqué à l’AFP que le pays était prêt à coopérer dans l’enquête sur Rémy Daillet. Lola Montemaggi devrait être extradée de la Suisse vers la France dans les prochains jours.

Avec Le Monde et l’Agence France-Presse