Les dernières semaines ont été marquées par des émeutes en Irlande du Nord. Après une accalmie suivant la mort du prince Philip, de nouveaux affrontements ont eu lieu lundi. Mardi, les forces de l’ordre ont annoncé la découverte d’un engin explosif sous la voiture d’une policière. La fragile paix est-elle menacée ?

Pourquoi y a-t-il eu des émeutes ?

Dans la province britannique de l’Irlande du Nord, les tensions sont courantes entre les unionistes, aussi appelés loyalistes, majoritairement protestants et attachés au pays de la reine, et les nationalistes ou républicains, principalement catholiques, partisans d’une réunification avec l’Irlande. Cette fois-ci, les conditions du départ du Royaume-Uni de l’Union européenne — le fameux « Brexit » — semblent avoir ravivé les rancœurs. « Il y a quelques trucs qui nous font sentir que la situation semble plutôt précaire, explique Katy Hayward, professeure de sociologie politique à l’Université Queen’s de Belfast. On a entendu parler [mardi] de la bombe placée sous la voiture d’une policière… La situation globale, c’est que post-Brexit, les conditions de l’accord du Vendredi saint sont sous pression. » Signé en 1998, cet accord avait pour but de mettre fin aux violents affrontements des 30 années précédentes.

Quel rôle le Brexit joue-t-il dans les tensions actuelles ?

Le divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE), en vigueur depuis le 1er janvier, a été difficile. L’Irlande, elle, est toujours membre de l’UE. Or, comme elle partage une île avec la province de l’Irlande du Nord, géographiquement séparée du reste du Royaume-Uni par la mer, cela vient complexifier les échanges. Le premier ministre britannique Boris Johnson avait promis qu’il n’y aurait pas de frontière en mer d’Irlande. Des points de contrôle ont pourtant été mis en place dans les ports nord-irlandais, pour éviter le retour d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord et l’Irlande. Des unionistes y ont vu une trahison. « Les unionistes craignent qu’il y ait maintenant une barrière entre eux et le reste de l’État auquel ils sont attachés, le Royaume-Uni, et que ce soit le début d’une pente glissante vers l’établissement d’une Irlande indépendante unie », note le professeur de sciences politiques à l’Université Queen’s de Kingston John McGarry. Il devient plus complexe administrativement d’envoyer des produits vers l’île, et les Nord-Irlandais ont constaté l’absence de certaines marchandises.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Qui sont les protestataires ?

Même si les protestataires, actifs dans plusieurs villes, semblent peu nombreux, leurs heurts avec les policiers ont rapidement tourné à la violence, avec des voitures incendiées et des cocktails Molotov qui ont blessé des dizaines de personnes. « C’est principalement des jeunes qui sont impliqués et c’est une violence quelque peu erratique », remarque Mme Hayward. L’anonymat des réseaux sociaux permet difficilement de discerner un leader. « Les organisations principales ne semblent pas avoir le contrôle sur eux », ajoute-t-elle. Auteur de Northern Ireland : The Fragile Peace, publié en mars, Feargal Cochrane ajoute que les tensions ne sont pas nouvelles. « Je ne dirais pas qu’on voit une montée d’une violence étendue, précise le professeur émérite en conflit international de l’Université du Kent, au Royaume-Uni. C’est une combinaison de choses. »

Quels sont les autres facteurs qui expliquent la violence ?

Il y a plusieurs couches, dit M. Cochrane. « Les émeutes, c’est en partie de la violence récréative par des adolescents, explique-t-il. Je ne crois pas qu’ils se soucient beaucoup du Brexit. Pour eux, c’est plus une question de gagner ou perdre. » Des rafles policières auraient aussi contribué à la violence. « Des groupes loyalistes paramilitaires ont été visés par la police pour des activités de trafic de drogues et je pense qu’ils ont vu ça comme une occasion d’en découdre avec la police », souligne-t-il. Un autre évènement semble avoir suscité une colère particulière chez les unionistes : malgré les restrictions liées à la COVID-19, des membres du parti républicain Sinn Féin se sont rassemblés l’an dernier pour des funérailles — ils auraient été plusieurs centaines. Il y a un mois, le procureur a décidé de ne pas imposer de sanctions. Les unionistes y ont vu une iniquité.

Est-ce que la situation est inquiétante ?

Difficile de prendre le pouls de la rue en période de COVID-19, mais il y a « assurément un sentiment de malaise, qu’on voit entre autres sur les réseaux sociaux », dit Mme Hayward, qui se trouvait à Belfast lors de l’interview avec La Presse. John McGarry, qui est né en Irlande du Nord et y était pendant le conflit, observe toutefois une différence importante entre les violences actuelles et celles du passé. « Il n’y a pas encore eu de violence entre les deux communautés, note celui qui a été le premier conseiller principal sur la question du partage de pouvoir aux Nations unies. Pour l’instant, la majorité de ce qu’on a vu implique une communauté, loyaliste, contre la police. » L’engin explosif retrouvé par la police nord-irlandaise visait aussi une policière. Les forces de l’ordre soupçonnent le groupe républicain dissident Nouvelle IRA. « Ils sont une petite minorité », note M. McGarry, qui souligne que le groupe s’est déjà attaqué aux policiers de cette façon depuis la signature des accords de paix, sans que le conflit soit ravivé.