(Paris) La cour d’assises de Paris a condamné jeudi à la prison à perpétuité les trois accusés, ivoiriens et biélorusse, jugés en leur absence pour avoir perpétré en 2004 le bombardement qui avait tué neuf soldats français à Bouaké, en Côte d’Ivoire.

Introuvables depuis des années, Yury Sushkin, un mercenaire biélorusse, et Patrice Ouei et Ange Gnanduillet, deux officiers de l’armée de l’air ivoirienne, ont été déclarés coupables d’assassinats et de tentatives d’assassinats.

Tous trois se sont « attaqués sournoisement » à des soldats français membres d’une force de paix et « avec une préméditation certaine », a expliqué le président de la cour, Thierry Fusina.

Ni la justice ivoirienne ni celle de la Biélorussie n’ont répondu aux mandats d’arrêt émis par la justice française à l’encontre des accusés. Selon les autorités ivoiriennes, M. Gnanduillet est décédé en 2016.

Début novembre 2004, le président ivoirien Laurent Gbagbo veut lancer l’offensive contre les rebelles qui lui ont pris la moitié nord du pays deux ans plus tôt. Il achète pour cela deux avions de chasse Sukhoï en Biélorussie via Robert Montoya, un ancien gendarme de l’Élysée installé au Togo, figure de la « Françafrique », qui lui fournit aussi des mercenaires slaves.

Rescapés et ex-ministres

Le 6 novembre vers 13 h 20, les deux Sukhoï pilotés par des mercenaires slaves et des officiers ivoiriens bombardent un camp de soldats de la force de paix française. Neuf soldats français et un civil américain sont tués, une quarantaine de soldats blessés.

Nombre de témoins et enquêteurs français ont identifié Yury Sushkin et Ange Gnanduillet parmi les quatre pilotes ou copilotes. Ainsi que très probablement Patrice Ouei, qui est le chef des pilotes sur place, a souligné le président Fusina.

En représailles du bombardement, Paris détruit le jour même toute l’aviation militaire ivoirienne, déclenchant une crise inédite avec son ancienne colonie. Les jours suivants, de violentes manifestations anti-françaises éclatent à Abidjan, provoquant le départ en catastrophe de milliers d’expatriés français.

Le verdict clôt trois semaines de procès où près de 90 témoins, quasiment tous Français, se sont succédé à la barre, des rescapés du bombardement aux ministres français de l’époque. Sans apporter de réponses aux questions que les familles de victimes se posent : qui a donné l’ordre de tirer sur les Français, et pourquoi ?

Dans ses motivations, la cour a toutefois rappelé que la plupart des responsables français de l’époque accusent une partie de l’entourage du président ivoirien, des « extrémistes » hostiles à la France.

« Raison d’État »

Mais l’absence de certitudes, faute d’avoir pu arrêter les suspects, a nourri au fil des ans la rancœur d’une partie des familles de victimes. Puis, à mesure que l’enquête y exhumait de curieux errements des autorités françaises, leurs doutes sur la volonté réelle de Paris de faire toute la lumière.

À commencer par un épisode qui a occupé une bonne partie du procès : l’incompréhensible refus de Paris, dix jours après le bombardement et via plusieurs ministères, de récupérer huit suspects biélorusses, dont Yury Sushkin, arrêtés au Togo, qui proposait de les lui livrer.

Dans ses motivations, la cour a souligné que des responsables français avaient bien « décliné l’offre du Togo », et déploré les dysfonctionnements sans lesquels les responsables du bombardement auraient pu être arrêtés et la justice rendue bien plus tôt.

Au terme de ce procès, des familles de victimes admettent la possibilité de dysfonctionnements en chaîne. D’autres soupçonnent Paris d’avoir sciemment plombé l’enquête pour ménager le président Laurent Gbagbo, au nom de la « raison d’État » diplomatique, voire de ses intérêts économiques dans le pays.

Toutes se rejoignent pour dénoncer l’attitude des ministres de l’époque (Dominique de Villepin, Michèle Alliot-Marie, Michel Barnier), appelés à la barre en début de semaine où ils ont au mieux admis des manquements à des niveaux inférieurs.  

« Ma colère est apaisée, mais le doute persiste. On a eu la reconnaissance d’une partie de l’État, la justice. Mais pas de l’autre partie, les anciens ministres, qui n’ont même pas daigné s’excuser », a déploré l’ex-adjudant-chef Thierry Pavec, qui a passé deux ans à l’hôpital pour reconstruire son corps « polycriblé » dans le bombardement.