(Paris) Adieu les « Enarques » : comme il l’avait promis après la crise des « gilets jaunes », Emmanuel Macron va annoncer jeudi une réforme de l’ENA, qui sera rebaptisée, ainsi que de la haute fonction publique pour que l’État devienne plus ouvert, plus divers et plus en phase avec la société.

La prestigieuse ENA, qui fournit depuis 40 ans au pays ses plus hauts dirigeants, y compris quatre des six derniers présidents, dont Emmanuel Macron, est devenue le symbole d’un entre-soi au pouvoir – «l’énarchie» – qui alimente ressentiments et soupçons.

Le 25 avril 2019, à l’issue du grand débat national post crise des «gilets jaunes», Emmanuel Macron avait créé la surprise en annonçant «la suppression de l’ENA» et la fin des grands corps (Conseil d’État, Cour des Comptes, Inspection des finances, Mines, Ponts etc.).

Réforme préparée depuis plusieurs mois

Deux ans plus tard, il va confirmer qu’elle va disparaître pour donner naissance à une nouvelle école de formation des hauts fonctionnaires, qu’ils soient préfets, ambassadeurs, recteurs ou directeurs des administrations et des grands corps de l’État.

Il réserve la primeur des détails de la réforme aux 600 cadres de la haute administration réunis pour la Convention managériale de l’État, organisée en visioconférence par Matignon à partir de 16h.

L’objectif de cette réforme, préparée depuis plusieurs mois par la ministre de Transformation et de la Fonction publique Amélie de Montchalin, est «d’offrir aux Français un service public plus proche, plus efficace, plus transparent et plus bienveillant», explique l’Élysée.

«Parmi les problèmes vitaux de la France, il y en a un que vous constatez tous les jours, c’est la rupture absolue entre la base de la société – ceux qui travaillent, qui sont à la retraite, qui sont au chômage, les jeunes, les étudiants – et le prétendu sommet», a souligné François Bayrou, patron du Modem, jeudi sur Franceinfo.

Promouvoir «l’égalité des chances»

Le 11 février lors d’un déplacement à Nantes, Emmanuel Macron avait déjà insisté sur la nécessité d’ouvrir les voies d’accès aux prestigieuses écoles de l’administration à des jeunes d’origine modeste afin que plus «aucun gamin dans notre République se dise: ce n’est pas pour moi». «L’ascenseur social» français «fonctionne moins bien qu’il y a 50 ans», car la mobilité «est très faible», avait-il regretté.

La diversité dans la fonction publique est l’un des piliers de l’agenda en faveur de «l’égalité des chances» que le président cherche depuis plusieurs mois à promouvoir en profitant des rares espaces laissés dans le débat public par la crise du Covid-19.

À Nantes, Emmanuel Macron avait annoncé la création d’une filière d’accès à l’ENA réservée aux élèves issus des milieux modestes, pour quelques élèves par promotion.

La réforme va aller plus loin puisqu’elle prévoit une réorganisation en profondeur du recrutement, de l’enseignement et du mode de classement des élèves, selon une source proche de l’exécutif. Le nouvel institut, qui devrait rester à Strasbourg, serait aussi rapproché d’autres écoles de la haute administration et du monde universitaire, comme le conseillait en février 2020 le rapport sur l’avenir de l’ENA de Frédéric Thiriez.

Critiquée pour sa formation d’élites «hors sol»

Sans remettre en cause l’existence des concours, la réforme prévoit que l’accès aux «grands corps» (Conseil d’État, Inspection des finances, Cour des Comptes…) soit plus ouvert. Le rapport Thiriez suggérait notamment une formation commune plus proche du terrain.

Au cours de la Convention managériale de l’État, le premier ministre Jean Castex, lui aussi énarque comme huit autres chefs de gouvernement sous la Ve République, devrait préciser qu’une grande partie de la réforme sera comprise dans une ordonnance qui doit être adoptée avant le 7 juin après son examen en Conseil des ministres fin mai.

Créée en 1945 par le général de Gaulle, l’ENA, qui sélectionne quelque 80 élèves par an, est régulièrement critiquée pour sa formation d’élites «hors sol».

«L’État est devenu administration et l’administration est devenue bureaucratie», ce qui bloque les réformes, a dénoncé François Bayrou, reprenant des critiques faites par Emmanuel Macron. Le Haut Commissaire au Plan a cité en exemple l’École de Guerre, qui sélectionne les chefs de l’armée plus tard dans la carrière sur «l’aptitude à l’action, au commandement», plutôt qu’à moins de 30 ans pour l’ENA.

Damien Abad (LR) s’est également déclaré «favorable à la suppression de l’ENA, car, malgré la qualité de ses élèves, elle produit un entre-soi immobile et déconnecté de la base».