Aux Pays-Bas, des élections sur fond de COVID-19 pourraient couronner une fois de plus Mark Rutte, alias « Teflon Mark », le leader du VVD, dans un paysage politique ultra-fragmenté

(Rotterdam) Dix ans au pouvoir, c’est long. Mais certains résistent mieux au temps et aux intempéries que d’autres.

C’est le cas de l’inoxydable Mark Rutte, qui sera vraisemblablement reconduit pour un quatrième mandat cette semaine, aux élections législatives des Pays-Bas.

« C’est un scrutin très prévisible », résume Simon Otjes, spécialiste de politique néerlandaise à l’Université de Leyde.

Si l’on se fie aux sondages, le premier ministre sortant et chef du VVD (Parti populaire pour la liberté et la démocratie — centre droit) pourrait ainsi remporter 40 des 150 sièges que compte la Chambre basse du Parlement néerlandais.

C’est deux fois plus que le leader populiste Geert Wilders, du PVV (Parti pour la liberté — extrême droite), son plus proche rival.

Ces projections peuvent paraître étonnantes, considérant le fait que le bilan de Rutte est loin de faire l’unanimité.

Champion des coupes budgétaires, le pragmatique premier ministre mène depuis 10 ans une politique du chiffre sans concession, marquée par l’appauvrissement du système public (hôpitaux, éducation) et l’accroissement des inégalités.

En janvier, il a en outre démissionné de son poste, à la suite d’un scandale administratif où des milliers de parents ont été accusés à tort de fraude aux allocations familiales et contraints de rembourser des sommes importantes sur plusieurs années.

Mais le politicien de 54 ans, qui gère toujours les affaires courantes, semble avoir largement profité de la pandémie de COVID-19.

Même si les mesures sanitaires imposées par son gouvernement sont à l’origine de violentes émeutes qui ont secoué le pays à la fin janvier, 80 % des électeurs continuent d’approuver la « corona-politique » du conservateur.

Bénéficiant d’un temps d’antenne exceptionnel en raison de la crise, celui qu’on a parfois qualifié de « teflon » a pu se présenter, de manière récurrente comme le candidat de la stabilité et de l’efficacité.

Aux yeux des électeurs, il est perçu comme un excellent gestionnaire de crise. Pas nécessairement comme le politicien le plus idéologique, mais un politicien qui excelle quand vient le temps de rassembler et de résoudre les problèmes. Les gens pensent qu’il est le mieux placé pour leur faire traverser la crise.

Simon Otjes, spécialiste de politique néerlandaise à l’Université de Leyde

Pour Jelle Van Buuren, professeur à l’Université de Leyde, la victoire prévisible de Rutte s’explique aussi par « la faiblesse de l’opposition », notamment à gauche, où l’on paye encore le prix pour des années de compromis et de coalitions malheureuses.

Avec une projection de 20 sièges au parlement, le PVV de Geert Wilders s’impose donc, une fois de plus, comme la principale solution de rechange à Mark Rutte.

La formation de Wilders, dont la rhétorique anti-islam est bien connue, jouit d’un certain regain depuis que son rival à l’extrême droite, le parti Forum pour la démocratie de Thierry Beaudet (FvD), a implosé à la suite d’allégations de racisme, d’antisémitisme et d’apologie du tueur Anders Brevik.

« Beaucoup de ceux qui avaient quitté le navire pour rejoindre Beaudet sont revenus vers Wilders, qui est vu comme anti-islamique, mais pas nécessairement raciste », explique Simon Otjes.

Des principaux candidats, Wilders est aussi le seul à avoir remis en question les mesures sanitaires du gouvernement. Une « tactique politicienne », selon Jelle Van Buuren, qui séduira probablement de nombreux électeurs opposés aux restrictions anti-COVID-19.

Coalition, fragmentation

Si le VVD remporte la majorité mercredi, Rutte sera vraisemblablement pressenti pour diriger la coalition qui formera le prochain gouvernement.

Il pourrait alors dépasser le record de Ruud Lubbers, qui a été premier ministre des Pays-Bas pendant 12 ans (de 1982 à 1994). Et s’imposera comme l’un des dirigeants européens depuis le plus longtemps en poste.

La coalition pourrait être semblable à celle de 2017, alors que le VVD s’était allié avec l’Appel chrétien démocrate CDA (centre droit), les centristes réformateurs (D66) et la formation protestante CU (centre droit), après 208 jours de discussions.

Dans tous les cas de figure, Rutte a clairement répété qu’il excluait toute forme d’alliance officielle avec Geert Wilders, même si la politique d’immigration du VVD, contestée par la gauche, s’est souvent montrée intransigeante.

Selon le site Dutchnews, Rutte a réitéré jeudi son intention de fermer les frontières du pays dans le cas d’une nouvelle crise des réfugiés et son souhait de placer les réfugiés « approuvés » dans des centres spéciaux pour leur apprendre à intégrer la société néerlandaise.

« Je suis content de les aider, mais ils doivent comprendre que nos valeurs sont non négociables », a-t-il confié au quotidien Volkskrant.

Avec 37 partis en lice pour les élections — un record —, le paysage politique néerlandais n’a, en tout cas, jamais été aussi fragmenté. Une douzaine de nouvelles formations ont fait leur apparition depuis le scrutin de 2017, avec des programmes aussi variés que la lutte contre le racisme, le refus des vaccins ou l’amour de Jésus.

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

Adri et Anne examinent, confus, le panneau sur lequel sont affichés 32 des 37 partis qui participeront aux élections législatives.

Rencontrés lundi après-midi à Rotterdam, alors qu’ils analysaient un immense panneau affichant tous les partis, Adri et Anne semblaient d’ailleurs confus devant cette suroffre politique.

« Il y a tellement de nouveaux joueurs. On n’en connaît pas la moitié, ont reconnu les deux étudiants. Pour ce qui est des anciens, aucun ne nous convient. Ça ne va pas être facile… »

Un arc-en-ciel de partis

37 formations aux programmes politiques très variés, parfois extrêmes, participeront aux élections législatives des Pays-Bas, qui doivent se dérouler de lundi à mercredi. En voici une modeste sélection.

Bij 1

PHOTO KOEN VAN WEEL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Sylvana Simons, fondatrice du parti Bij 1

Une formation bien de son temps. Fondée par Sylvana Simons, ce nouveau parti décolonial fait de la lutte contre le racisme et pour l’égalité des chances son principal champ de bataille. On y retrouve des artistes, des LGBTQ et même une travailleuse du sexe.

SGP

À droite toute. Ce parti protestant, tendance calviniste fondamentaliste, rafle systématiquement de deux à trois sièges à chaque élection depuis sa création en 1922. Antivaccin, anti-avortement, longtemps interdit aux femmes… Bref, l’exact opposé de Bij 1.

50Plus

Comme son nom l’indique, se concentre sur les intérêts des personnes âgées. Rentes, retraite, soins médicaux… Quatre sièges au parlement en 2017. Ne pas confondre avec JONG, le parti des jeunes…

NIDA

Un parti communautaire « inspiré par l’islam ». Dénonce le terrorisme islamiste, mais lutte contre la discrimination des musulmans. En réponse à l’interdiction partielle du voile intégral en 2019, NIDA a créé un « fond djihad » pour payer les amendes injustifiées.

Lijst 30

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

Anna Zeven, tête de liste de Lijst 30

Fondé en pleine crise de la COVID-19 par une vedette du mouvement conspirationniste, ce petit parti prône le pouvoir citoyen, la démocratie directe et la levée immédiate de toutes les mesures liées au coronavirus. « Les gens ont le choix entre la lumière et la noirceur. La lumière, c’est le libre choix », nous confie Anna Zeven, tête de liste de la formation, rencontrée à Rotterdam.

Jezus leeft

« Jésus vous a choisi. Qui choisissez-vous ? » Créé par un évangéliste ultraconservateur, ce parti ne vise pas à être élu, mais à répandre la parole de l’Évangile. Ses vidéos promotionnelles semblent assez divertissantes si on en juge par leur site web…