(Erevan) Proches, amis et voisins se sont retrouvés dans un cimetière militaire surplombant Erevan pour un dernier adieu à Arman Sarkissian, tué il y a trois mois au Nagorny Karabakh, mais identifié il y a seulement deux jours par ses parents.

Hadrout, la petite ville de 4000 habitants dont tous sont originaires, est passée sous contrôle azerbaïdjanais après la défaite arménienne dans la guerre de l’automne dernier pour le contrôle de cette enclave séparatiste.

Pour se rassembler, et pour mettre en terre le jeune homme de 20 ans dont le corps n’a été rendu que récemment, il ne leur reste donc qu’Erevan, 200 kilomètres au nord-ouest de Hadrout.

« C’est ici que la ville se retrouve maintenant : aux funérailles de nos enfants », se désole Margarita Karamian. Derrière elle, la musique d’un orchestre militaire recouvre les sanglots d’hommes et femmes en deuil.

« Sa famille aurait voulu l’enterrer à Hadrout, mais c’est désormais impossible », ajoute la femme de 58 ans.

Parmi les habitants du Nagorny Karabakh réfugiés en Arménie, beaucoup comme elle craignent désormais de ne jamais pouvoir rentrer chez eux.  

Le cessez-le-feu, signé après six semaines de combats sous l’égide de Moscou, a accordé d’importants gains territoriaux à Bakou dans une région marquée par une première guerre dans les années 1990, qui avait déjà fait des centaines de milliers de réfugiés.

Maire sans ville

À l’automne, Margarita Karamian et les autres habitants de Hadrout avaient fui avec quelques vêtements, laissant derrière eux leurs maisons et presque tout ce qu’ils possédaient.  

Elle habite désormais avec son mari, son fils et la famille de celui-ci dans un appartement qu’ils louent à Erevan. Et tous doivent apprendre à recommencer leurs vies de zéro.

« Au début, on pensait qu’on partirait temporairement », ajoute Mme Karamian.

Parmi les anciens habitants, la plupart se sont installés à Erevan ou ses environs. Quelques-uns ont choisi de rester au Nagorny Karabakh, dans des territoires toujours contrôlés par l’Arménie, mais certains ont aussi émigré en Europe ou en Russie.

Si le gouvernement arménien verse une aide mensuelle aux déplacés, Margarita Karamian craint qu’elle ne dure pas. « Nous vivons dans l’incertitude. Nous ne savons pas ce que le futur nous réserve », relève-t-elle.

Vakhan Savadian, 35 ans, est quant à lui devenu un maire sans ville.  

S’il gère encore l’administration locale, celle-ci est divisée entre Erevan et Stepanakert, la capitale de la république autoproclamée du Nagorny Karabakh. Il passe son temps à tenter de trouver des logements permanents pour ses anciens administrés éparpillés aux quatre vents.

« C’est difficile, mais nous devons nous adapter et ne pas perdre espoir, continuer à aller de l’avant », explique-t-il.

« Attendre et espérer »

Dans une résidence étudiante appartenant à la principale université d’Erevan, en bordure de la ville, les déplacés remplissent quatre étages entiers.

En raison de la pandémie de coronavirus, de nombreuses chambres étaient libres et les cours virtuels quand ils sont arrivés, mais les classes doivent reprendre, et l’espace devient étroit.

Trois générations de la famille Saakian y vivent dans deux chambres.

« À Hadrout, on avait une maison, des terres, un jardin, tout », énumère Arman Saakian, 35 ans, qui n’a eu que le temps de prendre son passeport, son téléphone et une couverture pour réchauffer les enfants en fuyant devant les troupes azerbaïdjanaises.

« Nous ne sommes pas en colère pour avoir dû laisser nos biens derrière nous. Nous sommes en colère pour avoir abandonné notre terre ancestrale, les tombes de nos grand-parents », souligne la sœur d’Arman, Maria Petrossian.

Pour cette femme de 38 ans, la priorité est désormais de trouver pour sa famille une nouvelle maison en Arménie. Sans jamais oublier leur ville du Nagorny Karabak, ni rêver d’y retourner.

« Si ça sera possible, on le fera avec joie », explique-t-elle : « Mais on ne sait même pas si ce sera possible un jour. On ne peut qu’attendre et espérer ».