(Paris) On ne sait pas où ce sera. Ni quand ça ouvrira. Mais on sait que c’est « un gros projet ».

Si tout se passe comme prévu, un musée consacré au terrorisme doit être inauguré à Paris « probablement » d’ici 2027. Et celui qui porte le dossier a bien voulu en décrire les contours à La Presse, même si on est encore loin de la première pelletée de terre.

Henry Rousso, chercheur au CNRS et historien spécialiste de la mémoire collective, a été chargé il y a deux ans de créer un mémorial en hommage aux victimes du terrorisme en France.

Mais le projet, commandé par le président Emmanuel Macron dans la foulée des attentats islamistes de Charlie Hebdo et du 13 novembre 2015, s’est bien vite transformé en un projet de musée consacré au terrorisme international.

« On voulait aller plus loin que le mémorial », explique M. Rousso.

Le concept commence déjà à prendre forme, du moins dans ses grandes lignes.

On sait que le musée aura une forte dimension historique, avec un accent particulier sur les 50 dernières années. Qu’il y aura une collection permanente, mais aussi des expos temporaires thématiques. Qu’il montrera des objets, des archives, des témoignages, dans une approche « moderne ».

Le lieu sera aussi un lieu de rencontre, d’étude, de réflexion et de formation professionnelle pour ceux qui s’intéressent à la question de façon globale.

L’idée sera de sensibiliser et de comprendre comment la société change à travers le terrorisme dans les 50 dernières années. Ça touche aussi à la question des victimes. Pourquoi nos sociétés leur accordent autant d’importance. Pourquoi la mémoire est devenue à ce point une valeur, avec tous ces hommages.

Henry Rousso, chercheur au CNRS et historien

L’historien ne cache pas que le musée et mémorial de la Shoah, lieu multidisciplinaire fondé en 2005 à Paris, a servi de modèle pour poser les grands axes du projet.

Son équipe s’est aussi inspirée de cinq autres musées du terrorisme dans le monde.

Le premier sur l’île d’Utøya, en Norvège, où Anders Breivik avait assassiné 77 personnes en 2011. Le second à Vitoria, en Espagne, pas encore ouvert, qui abordera l’histoire du terrorisme basque. Et puis Oklahoma City, aux États-Unis (attentats de 1995), ainsi que les deux musées new-yorkais consacrés aux attentats du 11-Septembre (Memorial Museum, Tribute Museum).

À la différence de ces établissements, consacrés à des évènements assez précis, le musée de Paris abordera le phénomène d’un grand angle pour se pencher sur l’ensemble des actes terroristes du dernier demi-siècle dans le monde, ce qui lui donne une « originalité tout à fait radicale ».

Ce « choix politique et éthique » compliquera grandement la tâche d’un point de vue logistique et muséologique, admet M. Rousso. « Mais il permet de dire que c’est une porte ouverte sur l’histoire de la société contemporaine. »

Des questions, une construction

Vu sa nature hautement délicate, le projet suscite déjà quelques débats.

N’est-ce pas porter le devoir de mémoire un peu trop loin ? Vaudrait-il mieux consacrer les fonds publics à autre chose ? Pourquoi commémorer un phénomène qui est encore actuel ?

Pour Henry Rousso, la question se posait autrement : « Comment ne pas rendre hommage aux victimes du terrorisme quand on le fait pour celles d’autres tragédies plus anciennes, alors que les attentats augmentent depuis les années 1990 ? »

S’est également posée la question du « spectacle ». Montrer quoi ? Et surtout, comment ? L’historien assure que le tout sera fait avec sensibilité, dans le respect des victimes et avec le concours des associations de survivants. Rien à voir avec le côté plus sensationnaliste des musées américains, conçus dans l’idée qu’il faut montrer des débris, des ruines, des carcasses de camions et toute cette violence qu’on associe spontanément à l’évènement, insiste-t-il.

On fera quelque chose qui sera différent, plus dans la sensibilité française. On aura une attention beaucoup plus grande aux questions d’histoire, de politique, de causes que les Américains. Le spectaculaire y aura sa place, oui, mais le spectaculaire, ce n’est pas seulement montrer un acte terroriste.

Henry Rousso, chercheur au CNRS et historien

Le musée sera financé par des fonds publics, ce qui n’exclut pas d’autres sources de financement. « Toutes les formules sont ouvertes », avance Henry Rousso, en évoquant le mécénat et des partenariats avec le privé.

Le lieu, quant à lui, reste à déterminer. L’idée d’investir un bâtiment existant a été rejetée. On préfère une construction neuve, qui aura « sa propre identité ».

Seule exigence : que le musée soit facilement accessible et que son architecture soit « visible, mais pas ostentatoire ».

« On a conscience qu’il faut garder des proportions, explique M. Rousso. Le terrorisme, c’est important. Mais ce n’est pas la Première Guerre mondiale, ce n’est pas la Shoah et ce n’est pas la Seconde Guerre mondiale. Il y a un point de pondération. »

Une première exposition, temporaire, doit être présentée en 2025, en prévision de l’ouverture officielle.

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