(Paris) Pour le 50e anniversaire de Charlie Hebdo, Riss, le directeur de la rédaction, s’interroge sur « la liberté infinie de la parole » à l’heure où « une diarrhée verbale a envahi la planète », un « paradoxe » pour l’hebdomadaire satirique « né d’un acte de censure ».

« Le Charlie Hebdo de 1970 imaginait-il que la parole serait libérée un jour à ce point ? » interroge Riss dans l’éditorial du numéro à paraître mercredi, un « demi-siècle » après le tout premier, un 23 novembre, en réponse à une volonté du gouvernement de faire taire le mensuel Hara Kiri.  

Ce dernier avait titré, après le décès de De Gaulle à Colombey-les-deux-Eglises le 9 novembre 1970, « Bal tragique à Colombey, un mort », une allusion satirique à l’incendie d’un dancing qui avait fait plus d’une centaine de morts ce mois-là.  

Le ministère de l’Intérieur ayant décidé d’interdire l’affichage et la vente aux mineurs du mensuel, son équipe en avait lancé une version hebdomadaire – Charlie Hebdo, un clin d’œil au général – pour contourner cette quasi-interdiction.

Charlie Hebdo, « qui revendiquait une plus grande liberté de parole », poursuit Riss, « se retrouve aujourd’hui au milieu d’une cacophonie d’opinions innombrables » notamment sur les réseaux sociaux.  

« Une diarrhée verbale a envahi la planète, et il faut déployer une vigilance surhumaine pour faire le tri […] entre le vrai et le faux, les harcèlements et les atteintes à la vie privée, les insultes et les menaces de mort », souligne le dessinateur.

« En cinquante ans, on est passé d’un extrême à un autre, d’une société frileuse où l’information était surveillée du coin de l’œil par le pouvoir à une société ultra-médiatique où n’importe qui peut dire n’importe quoi publiquement, sans aucune réserve ni la crainte d’aucune sanction », déplore-t-il.

« Il est donc paradoxal qu’un journal comme Charlie Hebdo se retrouve aux côtés de ceux qui voudraient réguler cette liberté infinie de la parole », ajoute Riss.

« Car contrairement à ce qu’on pourrait croire, Charlie n’a jamais contesté l’idée qu’il existe des limites et que la liberté d’expression […] ne peut justifier de propager la violence, le racisme ou le fanatisme », souligne-t-il.  

« Ce n’est pas la quantité immense des opinions qui sert la liberté d’expression, mais la qualité de ce qu’on publie grâce à elle », estime Riss, invitant à « réfléchir avec son petit cerveau » avant « d’ouvrir sa grande gueule ».  

« C’est le minimum de respect qu’on doit à la liberté d’expression », conclut-il.

Ce 50e anniversaire survient à un moment particulier pour le journal, en plein procès des attentats qui ont décimé sa rédaction en janvier 2015, et qui fait l’objet de nouvelles menaces depuis la republication des caricatures de Mahomet le 2 septembre.

Le numéro de mercredi, qui retrace les tentatives de censures connues depuis la création du journal, ironise en Une sur le temps qu’il faudra à la sphère religieuse pour « se décoincer », en montrant des représentants du christianisme, du judaïsme et de l’islam pleurer de rire à la lecture d’un exemplaire de Charlie sans dessins.