(Francfort) Le nouvel aéroport de Berlin, le BER, Berlin-Brandebourg Willy Brandt, est le sujet des moqueries de l’heure dans toute l’Allemagne. Et pour cause : s’il devait être inauguré en 2011, il le sera finalement le 31 octobre 2020… neuf ans plus tard que prévu ! Même le milliardaire Elon Musk a plaisanté sur le sujet, lorsqu’on lui a demandé combien de temps prendrait la construction de son usine Tesla près de Berlin : « Plus vite que l’aéroport ! »

Les blagues des Berlinois sont légion sur le sujet, tout comme les grands titres des journaux, peu élogieux : « Disaster », « Skandal », « Fiasko », « Chaotisch ». « J’ai acheté un billet d’avion en 2012 qui devait décoller du BER, c’était écrit BER sur le billet ! s’exclame Bettina Ducke. Quelle catastrophe ! »

L’inauguration du BER a été reportée six fois, et le projet est devenu non seulement une honte pour tout le pays, mais également un gouffre financier. La somme initiale de 1,7 milliard d’euros (environ 2,6 milliards de dollars canadiens) a finalement grimpé à 6,5 milliards d’euros (environ 10 milliards de dollars canadiens), pour un aéroport toutefois plus ambitieux que celui qui était prévu au départ (avec les terminaux 1, 2 et 5, ainsi qu’une nouvelle gare).

L’idée de cet aéroport a germé après la chute du mur de Berlin, alors que la nouvelle capitale de l’Allemagne réunifiée souhaitait se doter d’un grand et bel aéroport moderne pour remplacer les deux aéroports datant de la guerre froide, Tegel (situé dans l’ex-Allemagne de l’Ouest) et Schönefeld (en ex-Allemagne de l’Est).

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Membres du personnel lors d'une simulation à l'aéroport Willy-Brandt de Berlin-Brandebourg, le 3 septembre dernier

Sauf qu’au cours des années, le projet s’est vite transformé en saga aux multiples rebondissements : un scandale de corruption, des entreprises chargées de la construction mises en faillite, 15 000 défauts de construction à corriger, des problèmes de portes automatiques, le maire de Berlin qui démissionne et, pour couronner le tout : un système d’incendie qui – entre la conception et la livraison – ne répondait plus aux nouvelles normes allemandes. Bref, un énorme fiasco.

Et la rigueur allemande ?

Mais où est donc passée la rigueur allemande qui a fait la réputation du pays ?

« C’est l’histoire d’un projet trop ambitieux et la volonté des politiciens d’être trop parfaits, lance Jobst Fiedler, professeur émérite à la Hertie School of Governance de Berlin, auteur d’une étude de cas sur le sujet. Il y a eu une réelle inexpérience de l’État allemand. »

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L’inauguration du BER a été reportée six fois. La somme initiale de 1,7 milliard d’euros a finalement grimpé à 6,5 milliards, pour un aéroport toutefois plus ambitieux que celui qui était prévu au départ (avec les terminaux 1, 2 et 5, ainsi qu’une nouvelle gare).

Le premier obstacle majeur a été celui du financement de l’aéroport. « L’État allemand n’a pas trouvé de sociétés privées qui voulaient investir dans ce projet qui comportait trop de risques, alors il l’a pris en charge, ce qui n’était pas une bonne idée, car il n’avait aucune expertise dans la construction et la supervision d’un projet de cette envergure ! C’est là que les ennuis ont commencé », explique Friedrich Thiessen, professeur de sciences économiques à l’Université de Chemnitz qui a réalisé une étude sur le BER pour le Parti vert allemand (die Grünen).

Le chantier débute en 2006, mais pendant ce temps, Berlin devient une capitale extrêmement populaire et accueille de plus en plus de touristes du monde entier. Les plans initiaux de l’aéroport se révèlent trop petits. « La construction avait commencé, mais les ambitions ont changé en cours de route, on voulait désormais un aéroport avec plus d’espace et de boutiques… Vous imaginez… Les plans ont été modifiés en plein chantier et il y avait d’importants changements. C’est à partir de ce moment que c’est vraiment devenu un vrai fiasco », dit le professeur Thiessen. Il pense qu’il aurait été plus sage d’arrêter le chantier, mais les politiciens étaient pressés : « Plus le chantier avançait, plus les erreurs se multipliaient, il y a eu un vrai problème de supervision des équipes. Depuis 2012, on a passé huit ans à corriger des erreurs. »

Une ouverture assombrie par la COVID-19

Le 31 octobre, un avion d’Easy Jet et un autre de Lufthansa, les deux principales compagnies aériennes du Terminal 1, effectueront un atterrissage en parallèle pour marquer l’inauguration de ce nouvel aéroport.

Le BER va enfin ouvrir, mais pendant la plus grande crise sanitaire de tous les temps, on vit un autre épisode dans cette histoire qui ne finira jamais !

Le journaliste Carsten Behrendt, qui a réalisé plusieurs documentaires sur le BER

Le trafic aérien a chuté, pour les neuf premiers mois de l’année, de 69 % par rapport à 2019. On calcule qu’il faudra attendre 2024 pour retrouver le volume d’avant la pandémie.

« Évidemment, la situation économique est dramatique pour l’aéroport, mais Berlin a enfin un aéroport qui répond aux standards internationaux, affirme Daniel Tolksdorf, porte-parole du BER. Et franchement, il est magnifique. »

Un avis que partage Carsten Behrendt. « Je suis surpris, mais j’admets qu’après toute cette saga, le BER est vraiment réussi ! »

Et ce « fiasco » aura eu au moins un effet positif, relève Carsten Behrendt : il a rendu les Allemands plus sympathiques aux yeux de leurs voisins, lui a raconté un journaliste italien. « On se dit que les Allemands peuvent, eux aussi, échouer, et qu’ils ne sont pas parfaits ; ça fait du bien de voir ça ! »