(Berlin) La perspective de nouvelles sanctions se rapproche pour Moscou : l’Allemagne et la France ont dénoncé mercredi une « implication et une responsabilité » de la Russie dans l’empoisonnement au Novitchok de l’opposant Alexeï Navalny, prévenant qu’elles allaient proposer des mesures concrètes contre Moscou, qui dénonce des accusations « inacceptables ».

L’avertissement des ministres des Affaires étrangères Heiko Maas et Jean-Yves Le Drian intervient après la confirmation par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) du fait qu’Alexeï Navalny a bien été empoisonné par un agent neurotoxique du groupe Novitchok, une substance conçue par des spécialistes soviétiques à des fins militaires.

À leurs yeux, « aucune explication crédible (n’a) pour le moment été apportée par la Russie « et, dans contexte, il n’existe pas d’autre explication plausible à l’empoisonnement de M. Navalny qu’une responsabilité et une implication russes », assènent-ils dans un communiqué commun.

Ils annoncent qu’ils soumettront à leurs partenaires de l’UE des propositions de sanctions à l’encontre de personnes considérées « comme responsables de ce crime et de cette violation des normes internationales, en raison de leurs fonctions officielles, et une entité impliquée dans le programme Novitchok ».

Sans la collaboration de Moscou, « il n’y aura pas d’autre solution qu’une réponse internationale claire et sans équivoque », avait observé plus tôt dans la journée M. Maas devant les députés au Bundestag, précisant qu’il ne s’agissait » en aucun cas d’un conflit bilatéral russo-allemand « .

Berlin semble cependant écarter le scénario d’un gel du projet controversé de gazoduc Nord Stream 2 entre la Russie et l’Europe, dont l’Allemagne est le principal promoteur, au profit de mesures individuelles visant des personnalités russes.

La diplomatie russe n’en a pas moins fustigé mercredi les accusations « inacceptables » de Paris et Berlin.

 « Au lieu de coopérer dûment avec la Fédération de Russie afin d’éclaircir les circonstances de ce qui s’est passé avec ce blogueur, les gouvernements allemand et français sont passés à des menaces et des tentatives de chantage à notre égard » , a déclaré la diplomatie russe dans un communiqué.

Le gouvernement britannique a de son côté convoqué l’ambassadeur de Russie au Royaume-Uni, a annoncé mercredi le chef de la diplomatie Dominic Raab. « Il est totalement inacceptable qu’une arme chimique interdite ait été utilisée et la Russie doit mener une enquête complète et transparente », a-t-il ajouté.

Élite « qui assassine »

Critique féroce du régime de Vladimir Poutine, M. Navalny, 44 ans, est tombé gravement malade le 20 août à bord d’un avion en Sibérie, pendant qu’il était en campagne électorale pour des scrutins locaux et régionaux. Après avoir été soigné quelques jours dans un hôpital sibérien, il a été transféré dans un hôpital de Berlin et poursuit sa convalescence dans la capitale allemande.

L’opposant russe a directement accusé Vladimir Poutine d’être derrière son empoisonnement, une mise en cause réfutée par Moscou qui la juge « inacceptable ».

Du Novitchok avait déjà été utilisé pour empoisonner l’ex-espion Sergueï Skripal et sa fille Ioulia en Angleterre en 2018, provoquant une crise diplomatique internationale avec Moscou.

Dans un entretien avec le journal allemand Bild, M. Navalny a exhorté mercredi les Européens à directement sanctionner des personnalités proches du président Vladimir Poutine, notamment en les interdisant de séjour sur leur territoire.

Les membres de cette élite sont ceux qui « assassinent des gens parce qu’ils veulent rester au pouvoir », selon lui.

Prudence sur Nord Stream 2

La Russie est déjà depuis 2014 sous un régime de sanctions de la part de l’UE, en réponse à l’annexion de la Crimée.

Berlin a cependant poursuivi une politique de dialogue et de partenariat avec Moscou, dont le projet Nord Stream 2 est emblématique. Ce gazoduc doit abreuver l’Europe et notamment l’Allemagne en gaz russe. Ce projet de plusieurs milliards d’euros implique également d’autres pays, dont l’Autriche et les Pays-Bas, et plus de 100 entreprises européennes.

Plusieurs voix se sont élevées en Allemagne à la suite de l’empoisonnement de M. Navalny pour que Berlin abandonne ce chantier pharaonique, vu d’un très mauvais œil par les États-Unis, la Pologne et les Pays baltes.

Le gouvernement allemand est jusqu’ici resté très prudent sur une remise en cause du projet, même si ses relations avec Moscou sont au plus bas, détériorées par une série d’affaires comme le meurtre d’un ancien combattant tchétchène à Berlin en 2019 par un supposé agent russe. Le procès pour ce crime s’est ouvert mercredi devant la justice allemande.