(Paris) Journaux, magazines, chaînes de télévision et radios : près de 100 médias publient mercredi une lettre ouverte appelant les Français à se mobiliser en faveur de la liberté d’expression, en soutien à Charlie Hebdo, objet de nouvelles menaces.

L’hebdomadaire satirique a décidé de republier les caricatures de Mahomet, qui en avaient fait une cible des djihadistes, à la veille de l’ouverture du procès de l’attentat qui avait décimé sa rédaction en janvier 2015.

Une réédition saluée par certains, qui lui a aussi valu de nouvelles menaces notamment de la part de l’organisation djihadiste Al-Qaïda et la condamnation de quelques pays musulmans.

Après la republication des caricatures le 2 septembre, « Charlie Hebdo est à nouveau menacé par des organisations terroristes. Des menaces qui constituent une véritable provocation en plein procès des attentats de janvier 2015. Des menaces qui vont bien au-delà de Charlie puisqu’elles visent aussi tous les médias et même le Président de la République », déplore Riss, le directeur de Charlie Hebdo, dans une déclaration à l’AFP.

« Il nous a semblé nécessaire de proposer aux médias de réfléchir à la réponse collective qui méritait d’être donnée à cette situation », explique-t-il.

Cette mobilisation s’est traduite par une lettre ouverte, qui fait la une de l’hebdo satirique ce mercredi et paraît dans les pages et sur les sites internet des médias signataires, parmi lesquels la presse nationale et régionale, les principales chaînes de télévision, des hebdomadaires et des radios.

« Grâce à une mobilisation historique des médias français, en publiant tous ensemble cette lettre à nos concitoyens aujourd’hui, nous souhaitons envoyer un message puissant pour défendre notre conception de la liberté d’expression, mais, bien au-delà de la liberté de tous les citoyens français », indique Riss, invitant « tous les médias qui le souhaiteraient à publier cette lettre ».

« Réunir nos forces »

« Aujourd’hui, en 2020, certains d’entre vous sont menacés de mort sur les réseaux sociaux quand ils exposent des opinions singulières. Des médias sont ouvertement désignés comme cibles par des organisations terroristes internationales », peut-on lire dans cette lettre intitulée « Ensemble, défendons la Liberté ».

Le texte déplore que « c’est tout l’édifice juridique élaboré pendant plus de deux siècles pour protéger votre liberté d’expression qui est attaqué, comme jamais depuis 75 ans » et défend « la liberté de blasphémer ».

« Ce texte dit parfaitement que nous devons être tous conscients et mobilisés pour défendre cette liberté », a réagi le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer sur Twitter, où le sujet était l’un des plus discutés en France mercredi.

 « Menacé de mort et grossièrement calomnié, je défends sans condition la liberté de la presse, le refus absolu de la violence et le châtiment de ceux qui pratiquent ou incitent à la violence », a tweeté le leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon, accusé par Charlie d’entretenir un climat de défiance envers l’hebdo.

L’AFP n’a pour sa part pas souhaité s’associer à ce texte, afin de ne pas mettre ses équipes en danger dans des pays où le droit au blasphème est considéré comme une provocation, selon le directeur de l’information Phil Chetwynd.

« Ce faisant, elle savait qu’elle s’exposerait à des réactions d’incompréhension, à des procès en lâcheté, à des dénonciations de soumission », mais a fait « primer la sécurité » des journalistes sur le terrain, a justifié le PDG de l’agence, Fabrice Fries, tout en ajoutant dans un communiqué que « la direction de l’AFP s’alarme des nouvelles menaces qui pèsent sur Charlie Hebdo et exprime sa pleine solidarité à ses équipes ».

Le syndicat SNJ de l’agence a déploré cette décision, faisant part de sa « consternation », tout comme la Société des journalistes (SDJ), qui « regrette l’absence de débat sur ce sujet » et s’est associée de son côté à la lettre ouverte.

Les douze dessins reproduits par Charlie avaient été publiés initialement par le quotidien danois Jyllands-Posten le 30 septembre 2005, puis repris par l’hebdo satirique en 2006. Ils montrent notamment le prophète portant une bombe au lieu d’un turban, ou en personnage armé d’un couteau flanqué de deux femmes voilées de noir.

Alors que se tient jusqu’au 10 novembre le procès de l’attentat qui avait fait 12 morts le 7 janvier 2015, la directrice des ressources humaines de Charlie Hebdo, Marika Bret, a assuré en début de semaine qu’elle avait dû être exfiltrée de son domicile en raison de menaces jugées sérieuses, à la suite desquelles le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a dit avoir demandé à ce « qu’on puisse réévaluer les menaces qui pèsent sur les journalistes et les collaborateurs de Charlie Hebdo ».