L’hebdomadaire Charlie Hebdo a décidé de faire savoir haut et fort qu’il persiste et signe en republiant mercredi dans son plus récent numéro des caricatures de Mahomet qui avaient contribué à le placer dans le collimateur de djihadistes en 2015.

Alors que le procès des présumés complices des auteurs de l’attaque meurtrière s’ouvrait mercredi à Paris, les responsables du journal ont insisté sur la nécessité de ne pas laisser la violence dicter leur conduite.

« Au fond, l’esprit de Charlie, c’est ça, c’est refuser de renoncer à nos libertés », a déclaré l’avocat de la publication, MRichard Malka, pour souligner le début des procédures.

Dans un article, l’équipe responsable de l’hebdomadaire a expliqué qu’elle s’était abstenue jusque-là de republier les dessins controversés en attendant « d’avoir une bonne raison de le faire » et que la décision de procéder prenait son sens avec l’ouverture du procès, où ils font figure de « pièces à conviction ».

Le geste a été salué comme une marque de « bravoure » par l’organisation Reporters sans frontières, qui décrit le procès comme une lutte « contre la forme la plus extrême de censure ».

Si des restrictions à la liberté d’expression sont admissibles pour protéger les personnes, la liberté de critiquer les systèmes de pensée est absolue

Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, dans un communiqué.

Le président de la France Emmanuel Macron, en déplacement au Liban, avait souligné la veille lors de son passage au Liban qu’il existe en France « une liberté de blasphémer qui est attachée à la liberté de conscience » et que des caricatures ne peuvent être associées à un « discours de haine ».

Plusieurs organisations et pays musulmans qui avaient fortement réagi par le passé à la publication des caricatures, d’abord commandées et diffusées par un journal danois en 2005, ont décrié mercredi la décision de répéter le geste.

Un « acte criminel »

L’institution islamique sunnite Al-Azhar, en Égypte, a notamment parlé d’un « acte criminel » visant à « attiser l’émotion des croyants ».

Sami Aoun, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’université de Sherbrooke qui suit de près l’évolution des mouvements djihadistes, a indiqué mercredi que la décision de Charlie Hebdo envoyait un message fort quant à la « résilience » de la démocratie française et son attachement à la liberté d’expression.

PHOTO JACQUES DEMARTHON, AGENCE FRANCE-PRESSE

Les attentats du 7 janvier 2015 ont secoué les Français et le monde entier. Sur notre photo, des fleurs déposées devant les bureaux de Charlie Hebdo à la mémoire des victimes.

« Charlie Hebdo dit aux djihadistes : “Voyez, on continue de s’exprimer comme on l’entend malgré le carnage” », a indiqué mercredi l’analyste, qui juge le procès important pour tenter de mettre en lumière les ramifications de l’attentat contre l’hebdomadaire.

L’attaque, revendiquée à l’époque par la branche yéménite d’Al-Qaïda, a été menée par deux frères, Chérif et Saïd Kouachi, qui ont tué 11 personnes dans la rédaction. Ils ont été abattus quelques jours plus tard par la police dans une imprimerie en Seine-et-Marne.

Un autre djihadiste qui les connaissait, Amédy Coulibaly, a été tué simultanément par les forces de l’ordre. Il avait tué un policier et quatre hommes juifs lors d’une prise d’otages dans un supermarché survenue au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo.

Les personnes mises en cause dans le procès, qui couvre aussi les actions de Coulibaly, sont toutes accusées de complicité à des degrés variables, les plus importants risquant l’emprisonnement à vie. Les audiences doivent s’étaler jusqu’en novembre.

Une menace moindre

Jason Burke, auteur et journaliste spécialiste des questions de terrorisme, note que la menace de frappes d’une telle envergure sur le continent européen a sensiblement diminué aujourd’hui même s’il est évidemment impossible de les exclure.

Le groupe armé État islamique (EI), dit-il, a notamment perdu les vastes territoires dont elle disposait et qui sont requis pour former d’éventuels commandos. Son pouvoir d’attraction a aussi été sensiblement réduit, limitant sa capacité de recrutement.

Les services de renseignements, qui étaient « un pas en arrière » à l’époque de l’attaque contre Charlie Hebdo, ont réussi à « refermer la fenêtre de risque », rendant toute attaque majeure beaucoup plus compliquée.

Al-Qaïda, note M. Burke, mise de son côté sur une stratégie à long terme en s’implantant localement dans plusieurs pays musulmans où ont cours des conflits, tout en évitant des actions d’éclat susceptibles de susciter une réponse musclée des pays occidentaux, comme ce fut le cas après les attentats du 11 septembre 2001 ou l’annonce de l’établissement du califat par le groupe État islamique.

M. Aoun estime que l’idéologie djihadiste a perdu du terrain dans le monde musulman, compliquant les tentatives de recrutement. « Il y a beaucoup moins de sympathie et beaucoup plus de critiques à l’égard de cette approche violente », relève l’analyste.

Un récent rapport de l’Union européenne indique que sept attaques terroristes djihadistes, ayant fait dix morts, ont été recensées sur le continent en 2019 et qu’un nombre deux fois plus important de projets d’attentats ont été bloqués par les forces de l’ordre, confirmant une tendance observée en 2018.