(Berlin) La chancelière allemande Angela Merkel a pressé mercredi Moscou de s’expliquer après des d’analyses en Allemagne montrant que l’opposant russe Alexeï Navalny avait été empoisonné par un agent neurotoxique « de type Novitchok », et les partenaires de Berlin ont également exprimé leur indignation.

Cet agent neurotoxique avait déjà été utilisé contre l’ex-agent double russe Sergueï Skripal et sa fille Ioulia en 2018 en Angleterre, selon les autorités britanniques. L’affaire a provoqué une crise diplomatique entre Londres et Moscou.

Ce sont des examens approfondis effectués par un laboratoire de l’armée allemande sur l’opposant russe, hospitalisé à Berlin depuis fin août, qui ont permis de détecter l’emploi de cet agent neurotoxique.

Ces tests ont apporté la « preuve sans équivoque de l’existence d’un agent chimique neurotoxique de type Novitchok », a assuré le gouvernement allemand.

« Réduire au silence »

Cet agent hautement toxique, mis au point par les Soviétiques dans les années 70-une arme chimique-se présente le plus souvent sous la forme d’une fine poudre susceptible de pénétrer les pores de la peau ou les voies respiratoires.

« Le fait que la substance ait mis du temps à agir peut indiquer qu’il s’agit d’une formulation à libération prolongée du type de celle qui est couramment utilisée pour les produits pharmaceutiques. Là encore, cela indique qu’il ne s’agissait pas d’une attaque d’amateur », a commenté Andrea Sella, professeur à l’University College de Londres.

M. Navalny, 44 ans, reste « dans un état grave » mais son état de santé « continue de s’améliorer », a précisé dans un communiqué l’hôpital berlinois de la Charité, qui a précisé qu’il restait toujours « sous assistance respiratoire ».

Berlin, qui « condamne cette attaque dans les termes les plus fermes », a demandé à la Russie des éclaircissements « urgents » sur cet empoisonnement, selon un communiqué du gouvernement.

Les résultats de ces tests démontrent que M. Navalny a bel et bien été « victime d’un crime », destiné à le « réduire au silence », a dénoncé Angela Merkel dans une déclaration à la presse.

« De très graves questions se posent à présent, auxquelles seul le gouvernement russe peut et doit répondre », a prévenu la chancelière dont le pays assure la présidence du Conseil de l’Union européenne.

La Russie s’est dite « prête » à coopérer avec l’Allemagne.

« Les résultats de plusieurs expertises effectuées dans le cadre des investigations préliminaires n’ont révélé aucune substance puissante empoisonnée ou intoxicante dans l’organisme de Navalny », a toutefois soutenu une source au sein des forces de l’ordre citée par l’agence d’État russe, Tass.

« Nous appelons nos partenaires à éviter une politisation de cet incident et à s’appuyer uniquement sur des faits fiables qui nous seront fournis, nous l’espérons, dans les plus brefs délais », a déclaré l’ambassade de Russie à Berlin.

Pour l’entourage de l’opposant, l’auteur de cet empoisonnement ne fait guère de doute. « Seul l’État » russe a pu recourir au Novitchok, a affirmé l’organisation de M. Navalny.

L’ambassadeur russe à Berlin a été « invité urgemment » au ministère allemand des Affaires étrangères, a annoncé le chef de la diplomatie allemande, Heiko Maas.

Arme chimique

L’UE, l’OTAN, Washington, Paris et Londres avaient déjà mis la pression sur Moscou sur ce dossier. Mais le Kremlin rejetait jusqu’ici comme prématurées les conclusions pointant en direction d’une action criminelle.

Mercredi soir, le Royaume-Uni a appelé la Russie à « dire la vérité », alors que Paris a condamné « l’utilisation choquante et irresponsable » du Novitchok.

De son côté, l’Union européenne a dénoncé « un acte méprisable et lâche » et la Maison-Blanche s’est dite « très troublée », parlant d’un « acte absolument condamnable ». L’Italie a demandé à Moscou de « clarifier avec rapidité et transparence les responsabilités dans ce qui s’est produit ».

Le Canada s’est dit « profondément troublé » par la voix de son ministre des Affaires étrangères. « Les autorités russes doivent expliquer ce qu’il s’est passé », estime le ministère canadien, pour qui « l’usage d’armes chimiques est abject et inacceptable ».

L’OTAN a elle réclamé à la Russie une enquête.

Le gouvernement allemand prévoit aussi de « prendre contact avec l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) », les agents de type Novitchok étant interdits par cette organisation.

Principal opposant au pouvoir du président Vladimir Poutine, auteur de publications dénonçant la corruption des élites russes qui sont abondamment partagées sur les réseaux sociaux, Alexeï Navalny a été transféré fin août de Sibérie à Berlin.

Plusieurs personnalités russes ont été victimes d’empoisonnements, avérés ou suspectés, dans un passé récent.