(Paris) Pour couvrir le procès des complices de ceux qui l’ont décimé, le magazine satirique français Charlie Hebdo a choisi de faire appel à un dessinateur et à un écrivain, collaborateurs réguliers mais extérieurs à la rédaction.

Le dessinateur François Boucq et l’écrivain Yannick Haenel couvriront à partir de mercredi le procès de 14 personnes accusées d’avoir aidé les auteurs des attaques de janvier 2015 contre la rédaction de Charlie Hebdo, une policière municipale à Montrouge et le magasin de produits cacher Hyper Cacher, qui avaient fait 17 morts et bouleversé la France.

« On leur a demandé car ils n’étaient pas là le 7 janvier. Il fallait évidemment un dessinateur, car Charlie Hebdo a toujours suivi les procès essentiellement à travers le dessin ; quant à Yannick Haenel, on l’a choisi parce que c’est un écrivain, et il aura un regard que n’aura pas un journaliste », explique à l’AFP Gérard Biard, rédacteur en chef de Charlie Hebdo, qui assure le temps du procès l’intérim de Riss, blessé dans l’attentat.

« Les écrivains vont faire ce que Gébé (un célèbre dessinateur de BD, NDLR) appelait “un pas de côté”, ils vont nous apprendre et nous montrer des choses qu’un journaliste, ou nous, ne verrons pas forcément. C’est ce regard-là qui nous intéressait pour ce procès dans lequel on n’est pas simple témoin », estime-t-il.

Charlie prévoit un numéro spécial pour marquer l’ouverture du procès le 2 septembre, puis environ une page par semaine sera consacrée à sa couverture, en plus d’un compte rendu quotidien sur le web. Le procès durera jusqu’au 10 novembre.

Douze personnes avaient été assassinées à la rédaction de l’hebdomadaire dont plusieurs piliers de la rédaction, attaquée par des djihadistes pour ses satires de l’Islam.  

« Je ne suis jamais allé dans un tribunal de ma vie et je suis plutôt un écrivain de fiction. Au fond, c’est une écriture du réel que je vais devoir inventer », confie à l’AFP l’écrivain Yannick Haenel, se disant « très honoré » d’avoir été choisi par Riss.

« Nouveau questionnement »

Arrivé fin janvier 2015 au journal, il ne s’est pas senti dans un premier temps « tout à fait légitime » pour couvrir le procès. Mais il a compris que la rédaction cherchait quelqu’un de « légèrement extérieur au journal tout en en faisant partie ».

Chroniqueur pour le journal satirique pour lequel il écrit aussi de temps en temps des reportages, Yannick Haenel assistera tous les jours aux audiences et écrira un texte chaque soir qui sera publié le lendemain matin sur le site, puis chaque semaine un compte rendu « plus consistant ».

« Dans un troisième temps hypothétique, j’imagine que ça pourrait donner un livre intéressant mais rien n’est sûr », glisse-t-il.

« Ce qui m’intéresse dans ce procès ne relève pas seulement du verdict mais de quelque chose de plus innommable, quelque chose qui relève de la métaphysique, de questions liées au mal, à la survie, à la douleur », analyse ce lauréat du prix Médicis pour « Tiens ferme ta couronne » en 2017.

« Le procès est aussi le moment pour moi d’un nouveau questionnement sur la France et ses démons », poursuit-il, estimant que « la société française a rarement été aussi divisée » et s’attendant à ce que le procès soit une « caisse de résonance » de ces divisions.

De son côté, François Boucq, auteur et dessinateur de nombreuses bandes dessinées notamment « Moon Face » avec Alejandro Jodorowski, a commencé à dessiner sous pseudonyme pour Charlie après l’attentat, par amitié pour Cabu, expliquait-il au journal suisse Le Temps.

Contrairement à Yannick Haenel, il pourra compter sur une expérience judiciaire vu qu’il a couvert le procès de l’affaire du Carlton de Lille pour Le Monde.