(Minsk) Les partisans de l’opposition biélorusse se sont mobilisés en masse à Minsk contre le président Alexandre Loukachenko pour le deuxième dimanche consécutif, maintenant la pression après deux semaines d’un mouvement de protestation historique pour dénoncer une élection présidentielle contestée.

La mobilisation semblait équivalente à celle de la semaine passée, lorsque quelque 100 000 personnes étaient descendues dans la rue de la capitale biélorusse, selon des journalistes de l’AFP.

Au pouvoir depuis 26 ans, M. Loukachenko, 65 ans, avait juré cette semaine de « régler le problème » de la contestation, fruit d’un complot occidental selon lui, et même mis en état d’alerte l’armée, accusant l’OTAN de manœuvrer aux frontières du Biélorussie.

Mais dimanche, brandissant des drapeaux blanc et rouge, l’étendard de la contestation, une foule immense s’est réunie sur la place et l’avenue de l’Indépendance à Minsk ainsi que les rues adjacentes, en scandant « Liberté ! ».

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Le 16 août, un gigantesque rassemblement avait déjà eu lieu, face à une mobilisation bien moindre des partisans du pouvoir.

D’autres manifestations ont eu lieu dimanche à travers le pays.

L’opposition juge frauduleuse la réélection le 9 août de M. Loukachenko et dénonce la brutale répression qui l’a suivie.  

Les manifestants ont fait face aux militaires et aux forces anti-émeutes déployés en nombre dans le centre-ville, sans toutefois que cela dégénère en affrontements, selon des journalistes de l’AFP.  

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De policiers tentent de bloquer le chemin à des manifestants se rendant au centre de Minsk.

Le ministère de la Défense a prévenu qu’en cas de troubles près des mémoriaux de la Seconde Guerre mondiale, des lieux de manifestations ces deux dernières semaines, les responsables auraient à faire « à l’armée ».

Pas de seconde Ukraine

La cheffe de file de l’opposition biélorusse qui s’est proclamée vainqueur du scrutin du 9 août, Svetlana Tikhanovskaïa, s’est déclarée samedi « fière des Biélorusses » qui ont surmonté leur peur pour « défendre leurs droits ».

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La figure de l’opposition, Svetlana Tikhanovskaïa

« Je les appelle à continuer », a déclaré à l’AFP l’opposante, réfugiée en Lituanie voisine.

Dans ce pays, mais aussi en Estonie et en Lettonie, des milliers d’habitants ont commencé dimanche soir à former une chaîne humaine en solidarité avec les protestataires biélorusses, trois décennies après un geste similaire de défi, lorsque le 23 août 1989 les pays baltes avaient exprimé leur désir d’indépendance de l’ex-Union soviétique.

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Des participants à la chaîne humaine à Medininkai, en Lituanie

Le président lituanien Gitanas Nauseda, qui avait participé à la chaîne humaine de 1989, devait également y prendre part dimanche. « Aujourd’hui, le moment est venu pour nos frères biélorusses d’exprimer leur désir de liberté. La Voie de la liberté (nom de la chaîne humaine) est notre main tendue en leur direction », a-t-il dit à l’AFP.

Sur le front diplomatique, l’Union européenne, qui a rejeté les résultats de la présidentielle et prévu des sanctions, a jugé qu’il restait nécessaire de « traiter » avec le président biélorusse.

L’UE « n’a pas l’intention de convertir la Biélorussie en une seconde Ukraine » où, après une révolte pro-occidentale, Moscou a annexé la Crimée et nourri une guerre séparatiste dans l’est, a dit le diplomate européen en chef, Josep Borrell.

Avant le scrutin, le président biélorusse accusait la Russie de travailler en sous-main pour le faire tomber. Mais face à la contestation, il a opéré un virage à 180 degrés, se targuant du soutien du Kremlin face à de supposées tentatives occidentales de déstabilisation.

Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a mis en garde dimanche contre « l’instigation de troubles depuis l’extérieur ».

Pour leur part, le président sortant de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et la future présidente de cette institution ont adressé samedi une lettre à M. Loukachenko, en réitérant leur offre de visite à Minsk « pour entendre les points de vue sur la situation et pour discuter des défis actuels dans le pays ».

Fidélité de l’armée

Malgré une brutale répression des protestations dans les jours qui ont suivi la présidentielle, les Biélorusses ont continué de se mobiliser en nombre pour d’innombrables manifestations et chaînes humaines pacifiques.  

Le président biélorusse est resté droit dans ses bottes, n’évoquant qu’un vague plan de révision constitutionnelle pour sortir de la crise politique.  

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Le président Alexandre Loukachenko

Il a pu jusqu’ici compter sur la fidélité de l’armée, de la police et des services secrets, même s’il a enregistré des défections dans les médias d’État et des entreprises publiques.

Samedi, il a profité d’une inspection des unités militaires déployées près de la frontière polonaise pour présenter la contestation comme un complot ourdi à l’étranger.  

Il a placé les forces armées en état d’alerte, dénonçant d’« importants agissements des forces de l’OTAN à proximité » des frontières, sur les territoires polonais et lituanien. L’Alliance a démenti tout « renforcement militaire dans la région ».

Les autorités biélorusses ont par ailleurs engagé cette semaine des poursuites pour « atteintes à la sécurité nationale » contre le « Conseil de coordination » formé par l’opposition pour promouvoir une transition politique postélectorale.

M. Loukachenko a aussi menacé de représailles les grévistes contestant son pouvoir, évoquant des licenciements ou la fermeture de chaînes de production.  

Cette tactique semble porter ses fruits, le nombre des débrayages dans les usines d’État, les piliers du système économico-social biélorusse, ayant baissé cette semaine.