(Paris) Où en étions-nous, donc ?

Ah oui, les élections municipales en France !

C’est le dernier sujet d’actualité non covidien dont on a parlé avant le tsunami de la crise sanitaire. C’était autour du 15 mars, il y a trois mois, autant dire une éternité.

À l’époque, beaucoup se demandaient s’il ne fallait pas annuler le premier tour du scrutin, alors que l’épidémie commençait à faire des ravages dans l’Hexagone.

Il a finalement eu lieu, avec moult précautions hygiéniques et hydroalcooliques. Mais le taux d’abstention phénoménal (66 %), du jamais vu en France, a confirmé que cette décision n’était peut-être pas très avisée.

Et puis le monde s’est mis sur pause. Et le second tour de l’élection a été reporté. Il aura finalement lieu le 28 juin, dimanche prochain, malgré les protestations de certains.

Reprend-on exactement où on était ? Pas tout à fait. Dans ce monde « post-corona », où les règles ont en partie changé, la France semble à la fois pareille et différente.

À Paris, les métros fonctionnent toujours, mais sont à moitié vides. Des pastilles ont été collées sur le sol pour bien indiquer les distances à respecter. La moitié des sièges sont condamnés.

Pendant ce temps, les rues sont devenues de véritables boulevards à vélos où s’engouffrent des milliers de cyclistes à la minute, chose impensable il y a trois mois.

Les autocars de tourisme ont disparu, les flics circulent à cheval et il y a plus de masques chirurgicaux que de crottes de chiens qui jonchent les trottoirs.

Les bars, eux, ont profité de la réouverture pour agrandir leurs terrasses et s’étendre sur les espaces de stationnement.

Depuis lundi, grande nouvelle, on peut aussi consommer à l’intérieur. Les jasettes de comptoir ont recommencé, comme si rien ne s’était passé, ou presque. Mais les sujets de conversation ont changé.

« Et toi, t’as fait comment dans 20 m2 ?

– Je te dis pas. Du lit à la table de la cuisine, à ma table de travail. C’était ça, mes journées. J’ai pris quatre kilos.

– Nous, 68 bouteilles de vin ! On les a comptées. »

« C’était mieux à deux. Seul, je ne sais pas comment j’aurais fait. »

« Et vous, les affaires ? Pas trop de dommages ? »

« Ces vélos, c’est pas possible. Ils sont dangereux. Va falloir les immatriculer. »

« Il voulait dire quoi, Macron, par “on va devoir travailler plus” ? »

« Porter un masque ? Vous voulez rire ! »

« Et le foot, ça va reprendre un jour ? »

L’invasion des « coronapistes »

Dans cette ambiance de « nouvelle normalité », les Français reprennent aussi leurs bonnes habitudes politiques.

PHOTO CLÉMENT MAHOUDEAU, AGENCE FRANCE-PRESSE

Hawa Traoré (au centre), sœur d’Adama Traoré, mort à la suite d’une interpellation policière en 2016, a participé à une manifestation du mouvement Black Lives Matter, à Marseille, le 13 juin. 

Pandémie ou pas, les manifs ont repris avec vigueur. Au moins trois mobilisations massives depuis deux semaines, dont deux contre le racisme et la brutalité policière. La France a aussi son George Floyd. Il se nomme Adama Traoré et on accuse les gendarmes d’être responsables de sa mort. Le dossier, en suspens depuis quatre ans, s’est rallumé à la faveur du mouvement Black Lives Matter.

Cette semaine, les blouses blanches sont aussi descendues dans la rue pour se plaindre des conditions de travail dans le réseau de la santé, un problème qui date, mais qui s’est exacerbé avec la crise de la COVID-19. La manif s’est achevée dans une ambiance de gilets jaunes, avec gaz et arrestations musclées.

Finalement, tout cela est assez rassurant. Malgré leurs 29 617 morts, les Français restent les mêmes, avec juste un peu plus de distanciation physique, quoique, entre nous, on l’a très peu observée dans les cafés, où la promiscuité règne comme dans le bon vieux temps d’avant.

Les enjeux n’ont pas beaucoup changé, non plus, dans la course aux municipales. En tout cas, pas à Paris, où la socialiste Anne Hidalgo a de très bonnes chances d’être réélue avec son programme environnemental bonifié.

La maire sortante, désormais alliée aux écologistes, a toutefois profité de la pandémie pour confirmer ou accélérer sa politique de réduction de la place de la voiture, qui fait tant de mécontents depuis 2014. La circulation automobile sera réduite à 30 km/h au centre-ville et à 50 km/h sur le Périphérique, équivalent de la Métropolitaine montréalaise. Le nombre d’espaces verts doit être multiplié ; Anne Hidalgo parle carrément de « forêts urbaines » dans Paris. Quant aux 50 kilomètres de « coronapistes » cyclables ajoutés pendant la crise sanitaire, ils seront pérennisés, a-t-elle annoncé cette semaine.

« Il y a beaucoup moins de monde dans les transports en commun, explique le journaliste Bertrand Gréco, qui couvre la politique municipale au Journal du dimanche. Les gens n’ont pas envie de se retrouver collés les uns aux autres aux heures de pointe comme c’était le cas avant. La crainte d’Hidalgo, c’est qu’il y ait un report sur la voiture, ce qui serait assez catastrophique en termes de bouchons et de pollution. C’est pour ça qu’elle insiste encore plus sur le vélo… »

Forfaiture démocratique

Si on se fie aux sondages, la crise sanitaire semble avoir favorisé les maires sortants. À la manœuvre sur le terrain, les deux mains dans le cambouis, ce sont eux qui ont veillé à l’approvisionnement en tests, en masques et à l’application des règles sanitaires. « Ils ont un peu joué le rôle de protecteurs », résume Bertrand Gréco.

Les écologistes en ont aussi profité pour prendre de l’expansion, et pourraient l’emporter dimanche prochain dans quelques grandes villes comme Lyon, Lille ou Strasbourg, une percée qui serait historique.

Certains se demandent toutefois si ce second tour n’est pas une mascarade, vu le contexte et le délai extraordinaire de trois mois entre les deux tours, délai qui doit normalement se limiter à une dizaine de jours.

Expert des enjeux municipaux et professeur à l’Université de Lille, Rémi Lefebvre parle carrément d’une « forfaiture démocratique ». Et se demande quelle légitimité auront les élus, considérant le taux de participation famélique au premier tour et l’incroyable laps de temps qui a séparé les deux rounds.

« Pour moi, ça n’a aucun sens politique, explique le politiste. Les résultats du premier tour n’ont aucune valeur démocratique parce que la sincérité et la sérénité du scrutin ont été complètement perturbées par le COVID. On l’a très bien vu sur l’abstention. En plus, trois mois se sont écoulés. Les gens n’ont plus en tête le premier tour et il n’y a même pas de campagne. Cette situation tout à fait exceptionnelle fait que la France n’est pas du tout propre à organiser des élections. »

Quelque 30 000 maires l’ont emporté dès le premier tour, le 15 mars. Cinq mille doivent encore être choisis, dont la plupart des grandes villes (plus de 100 000 habitants) comme Paris, Toulouse, Grenoble, Bordeaux, Lille, Lyon ou Marseille.

Reste à voir le taux de participation. Certains candidats ont été élus avec à peine 25 % des inscrits au premier tour, autant dire de très petites victoires. Faut-il s’attendre à mieux pour le deuxième round ? C’est à voir.

Dans cette « nouvelle normalité », on n’est plus sûr de rien.