(Bruxelles) L’Europe se détend. Un peu. Après trois mois de « Grand Confinement », plusieurs pays de l’Union européenne (UE) ont finalement rouvert leurs frontières, lundi. Pour certains, l’occasion était attendue de revoir leurs proches, après avoir été bloqués pour cause de crise sanitaire.

Dans le train de Bruxelles à Paris, il n’y avait presque plus de places pour s’asseoir. « Ça fait longtemps que j’ai vu autant de monde », nous a confié un contrôleur, posté sur le quai. « Avant, les gens ne se déplaçaient que pour le travail ou les urgences. Maintenant, ça redevient normal. »

Enfin, normal est un bien grand mot. Tout le monde à bord doit porter le masque et des employés passent régulièrement dans les allées avec du désinfectant. Mais il y avait dans l’air une ambiance de soulagement. Comme si la pression venait de se relâcher.

Assise à côté de nous, Pénélope crève d’impatience. Elle vit à Charleroi, en Belgique, et sa copine habite Toulouse, en France. Elles ne se sont pas vues depuis le début de mars. Dès qu’elle a su que l’Hexagone levait les barrières, elle s’est précipitée pour acheter un billet.

« Trois mois, c’est long, dit-elle, cheveux en brosse et piercings dans les sourcils. On a fait Zoom, Skype, WhatsApp et Messenger. Mais là, on a hâte de se voir en vrai. »

À chacun ses raisons d’être dans ce train.

Derrière Pénélope, deux retraités, Anders et Muriel, sont en route pour voir leur fille à Marseille. « On a attendu trop longtemps », disent-ils. Plus loin, Brigitte va rendre visite à sa mère, qui vit dans le sud de la France.

Il y a aussi Paul, qui passe la frontière pour des raisons professionnelles, ou JC, un journaliste québécois, qui n’est pas allé à Paris depuis la fin de février.

Il y a même ceux qui, croyez-le ou non, en profitent pour aller faire du tourisme, même si les conditions sont loin d’être optimales. Comme ce couple d’âge mûr, qui a loué une maison à Saint-Raphaël, sur la Côte d’Azur.

« D’habitude, on prenait l’avion, mais là, il n’y a plus de vols. Alors on prend le train. C’est bien dommage, car c’est plus long. On n’y sera pas avant 23 h. »

Ensemble, séparément

On ne peut pas dire que la vie soit exactement comme avant. Mais l’Europe entre de toute évidence dans une nouvelle phase de son déconfinement, en rétablissant la circulation à l’intérieur du continent.

Il y a deux semaines, l’Italie. Lundi, la France, la Belgique, l’Allemagne. Ce mardi, l’Autriche… Si les frontières nationales rouvrent les unes après les autres, les restrictions changent toutefois selon les pays.

C’est ainsi que l’Espagne ne sera pas accessible aux étrangers avant le 1er juillet et que la Grèce imposera une quarantaine à tous ses visiteurs, même si les lieux touristiques sont ouverts.

En Europe de l’Est, relativement épargnée par la COVID-19, certains pays comme la Lettonie, la Hongrie et la République tchèque interdisent carrément l’entrée aux voyageurs en provenance de « zones rouges », où le taux d’infection est encore jugé trop élevé. Des listes où figurent invariablement la Suède et la Grande-Bretagne, qui paient aujourd’hui le prix de leurs stratégies sanitaires controversées.

Ces politiques variables n’ont rien d’étonnant. Si la crise du coronavirus a démontré quelque chose, c’est que l’UE n’est pas toujours capable d’avoir une vision commune.

Lorsque l’épidémie est arrivée sur le continent, des frontières nationales se sont fermées du jour au lendemain, sans concertation avec les pays voisins. Les grands principes de l’espace Schengen, dont l’un des quatre piliers est la libre circulation des personnes, ont été mis au rancart pour cause de panique sanitaire.

Selon Marc Lazar, chercheur à Sciences Po, cette « urgence a illustré la faiblesse de l’Union européenne ».

Marc Lazar croit, en outre, que ce réflexe de repli national, constaté dans plusieurs pays, peut donner de nouveaux arguments aux eurosceptiques comme Marine Le Pen, en France, et Matteo Salvini, en Italie, qu’on a peu entendus jusqu’ici.

« Quand on sortira complètement de ça et qu’on fera le bilan, c’est un des gros sujets qu’ils pourraient développer pour dire qu’en cas de crise, la vraie réalité, c’est celle de l’État-nation. »

D’autres défis attendent l’UE d’ici là, à commencer par le plan de relance économique destiné à se remettre de l’épidémie.

Le projet, baptisé « Next Generation EU », doit être présenté vendredi au Conseil européen, en présence des chefs d’État et de gouvernement. Il implique des prêts et subventions de 750 milliards d’euros et prône une mutualisation partielle de dette, afin de soutenir les pays du Sud, plus fortement touchés par la crise.

L’unanimité des 27 États membres est requise pour son adoption. Mais certains pays du Nord (Pays-Bas, Autriche, Danemark, Suède) résistent encore à cette proposition, qui permettrait vraisemblablement au fédéralisme européen de se réinventer.