(Paris) Activité gelée, recrutements en berne : la récession mondiale causée par la pandémie pourrait durablement chambouler les parcours migratoires, en mettant notamment un coup d’arrêt à l’immigration économique vers les pays riches où les demandes d’asile devraient en revanche s’intensifier.

Si la fermeture des frontières a été une réponse immédiate et quasi unanime à la crise sanitaire dans les pays développés, conduisant à une chute drastique de l’immigration notamment en Europe, le déconfinement progressif de la planète ne devrait pas être synonyme d’une reprise des flux migratoires à leurs niveaux pré-COVID, estime l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans une note publiée jeudi.  

D’abord parce que le « retour à la normale », notamment concernant la migration de travail, va prendre des chemins de traverse, anticipe l’organisation, qui évoque les personnes qui seront « devenues inéligibles » à un visa en raison de la situation du marché du travail, les entreprises qui ne voudront plus embaucher ou celles qui le voudront, mais… à distance, dans le pays d’origine.

Surtout, « dans le contexte d’une récession économique sévère […], non seulement les besoins de recrutements à l’international pourraient être réduits, mais le soutien à une politique migratoire proactive pourrait être affecté », peut-on lire dans cette note, qui entrevoit un « changement fondamental des migrations ».  

Pire que la crise de 2008

« L’ampleur du choc en termes de flux migratoires sera plus importante que lors de la crise économique de 2008 lors de laquelle, sur les migrations intraeuropéennes, on avait vu une chute drastique » qui s’était prolongée en 2009 et 2010, compare Jean-Christophe Dumont, chef de la division Migrations de l’OCDE.

« Avec la COVID, tout est démultiplié. L’ampleur de la crise est certainement beaucoup plus forte. Je ne serais pas surpris qu’on ait une baisse de 30 à 40 % sur 2020. Pour les années à venir, tout dépend du rebond économique, mais tous les signaux sont au rouge », explique-t-il à l’AFP au sujet de l’immigration de travail, qui concerne quelque 600 000 personnes par an pour les seuls migrants qui ne sont pas originaires de l’UE.

À l’inverse, les arrivées en Europe pour solliciter le statut de réfugié devraient augmenter « à moyen terme », affirmait le mois dernier le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO), dans un rapport sur les conséquences du coronavirus.

Selon cet organe, l’instabilité sécuritaire au Moyen-Orient ainsi que les « conséquences directes » du coronavirus, comme le fait d’être tombé dans une extrême précarité alimentaire, seront dans les prochains mois les moteurs des « nouvelles demandes ».

« L’un n’empêche pas l’autre », observe Matthieu Tardis, chercheur sur les migrations à l’Institut français des relations internationales. « On parle d’un possible rattrapage en matière d’asile, après le déconfinement. C’est encore tôt pour le constater, mais les conséquences directes sont là : il y a actuellement très peu d’arrivées, les frontières extérieures de l’UE sont fermées, y compris pour les personnes en besoin de protection internationale. Mais il y a des pays qui en ont profité pour restreindre l’accès à l’asile », relève-t-il.

« Pression migratoire »

« Ce à quoi on doit s’attendre, c’est une plus grande pression migratoire, un décalage entre les options légales d’immigration et les intentions de migrer », résume Jean-Christophe Dumont.

Au-delà de la question des flux, les enseignements des précédentes crises font craindre « des effets disproportionnés, durables et négatifs sur l’intégration des immigrés », alerte par ailleurs l’OCDE.

Déjà fragilisés par les conséquences de la pandémie, les migrants voient désormais se profiler une deuxième lame : engorgement administratif dû aux dossiers en attente, gel des procédures de réinstallations en Europe, régularisation par le travail stoppée par une entreprise qui n’embauche plus…

Malgré ces projections, la crise sanitaire aura également permis de tirer « une vraie leçon », reprend Jean-Christophe Dumont : « Fermer les frontières complètement, ça ne tient pas. Il y a des familles qui vivent de part et d’autre de frontières, des engagements humanitaires, des besoins de main-d’œuvre dans des secteurs où même en temps de crise personne ne veut aller. Donc on fait immédiatement des exceptions, parce que la migration c’est constitutif de ce qu’on est en tant que société ».