(BRUXELLES) Grand-Place, personne. Place de la Bourse, personne. Manneken Pis, personne. Bruxelles n’est pas une ville fantôme, mais presque.

Même si elle ne compte pour l’instant que 14 morts sur 1500 contaminations, la Belgique s’est claquemurée à son tour mercredi midi, adoptant la politique de confinement déjà observée par la France, l’Espagne et l’Italie pour restreindre la circulation des personnes et freiner la propagation de la covid-19.

Jusqu’au 5 avril au moins, la population belge ne pourra sortir que pour faire l’épicerie ou se prévaloir des services jugés « essentiels » comme les pharmacies, les banques, les bureaux de poste et les stations d’essence.

Originalité belge : les librairies et les friteries auront aussi le droit de rester ouvertes… ainsi que les « lavomattes » et les salons de coiffure, comme quoi « l’essentiel » est un concept tout à fait relatif.

Les bars et les restaurants étaient, de leur côté, fermés depuis la semaine dernière.

Surréalisme belge

Ces restrictions, annoncées mardi soir par la première ministre Sophie Wilmès, semblent, dans tous les cas, scrupuleusement suivies dans la capitale. Hormis d’occasionnels passants et quelques promeneurs dispersés, on a rarement vu les rues aussi vides, les trottoirs aussi larges, le silence aussi planant.

C’était particulièrement saisissant, pour ne pas dire surréaliste, devant la fontaine du Manneken Pis. Le carrefour, d’ordinaire gavé de touristes, était complètement vide en milieu d’après-midi mercredi, ne laissant entendre que le jet d’urine de la célèbre statue.

Idem à la Grand-Place, complètement déserte à deux ou trois personnes près. Parmi les rares « rebelles », Amir et Parisa, couple de Californiens en vacances, semblaient toutefois s’amuser de la situation, en se photographiant sur la place vide.

« On essaie de faire en sorte que ça ne ruine pas trop notre voyage. Mais c’est vrai qu’on ne sait pas trop quoi faire. Tout est fermé. On doit se faire à manger dans notre chambre. On songe à rentrer, mais on avait prévu de partir pour un an », explique le couple.

PHOTO KENZO TRIBOUILLARD, AGENCE FRANCE-PRESSE

La Grand-Place était presque déserte mercredi.

Dans les boulangeries et épiceries restées ouvertes, on observait aussi un certain sens civique. Des files se créent à l’extérieur des établissements, question de respecter la « distanciation sociale ». Pas plus de trois ou quatre personnes à l’intérieur, paiement par carte de crédit encouragé, de préférence « sans contact ». Shopping rapide, maximum 30 minutes.

Ouverts… mais vides

Ici comme partout, plusieurs supermarchés ont été dévalisés au cours des derniers jours. Un Proxy de la rue Haute, au centre-ville, a dû fermer ses portes, le temps de refaire ses stocks.

D’autres commerces, en revanche, ne profitent pas tellement de la situation.

Même s’ils sont autorisés à rester ouverts, à raison d’un client à la fois, les coiffeurs semblent particulièrement désœuvrés, si l’on en juge par les quelques salons visités en après-midi. Chez Infinitif, dans le quartier Saint-Gilles, Vittorio n’a accueilli ce mercredi matin que trois personnes.

« À quoi ça sert d’ouvrir si c’est vide ? » demande-t-il, en se disant par ailleurs inquiet de la contamination. « C’est un gros souci pour moi, parce que le client, vous savez, il est à quelques centimètres. » Certains de ses confrères avaient d’ailleurs carrément opté pour le port du masque, question de poser une barrière, fût-elle psychologique.

À la friterie La Chapelle, on est un peu plus positif. Contrairement aux restaurants classiques, la baraque a pu poursuivre ses activités, parce que les mets sont uniquement « pour emporter ». Le problème, c’est qu’on ne se bouscule pas pour commander. 

Ma fréquentation a baissé de 50 %. Heureusement que j’ai une clientèle locale pour me soutenir.

Kemal, de la friterie La Chapelle

Pour ce qui est des librairies, techniquement ouvertes, c’est en vain que nous les cherchons. Les trois qui se trouvent sur notre chemin sont fermées, l’une d’entre elles invitant la clientèle à commander sur internet ou revenir dans 18 jours, après le 5 avril.

Un peu d’humour

Outre les sorties « essentielles », le pays permet aussi les activités physiques, comme la marche ou le vélo, à l’extérieur, à condition de respecter une distance de 1,5 mètre entre les personnes et de se limiter à des groupes de deux.

Au parc Duden, en marge du centre-ville, certains profitaient d’ailleurs de cette « zone grise », mercredi, sous un soleil radieux et printanier. « Il faut en profiter avant que les restrictions n’augmentent », siffle Michèle, septuagénaire, interceptée pendant sa marche de santé.

Contrairement à la France, qui punira les contrevenants avec des amendes de 135 euros, la Belgique n’entend pas verbaliser ceux et celles qui ne respectent pas les nouvelles mesures de confinement. « Pas pour l’instant du moins », nous lance un policier, cantonné près de la Place de la Bourse.

Les entreprises sont toutefois passibles d’amendes « lourdes » si elles ne peuvent garantir à leurs employés un « respect scrupuleux de la distanciation sociale », selon la première ministre Sophie Wilmès.

Cette situation exceptionnelle, voire dramatique, semble du reste inspirer l’humour belge. L’Avenir, journal wallon, titrait mercredi matin « La campagne des 18 jours : cette fois on ne capitule pas ! », clin d’œil à la capitulation belge face aux Allemands en 1940, après une campagne de 18 jours.

Le quotidien flamand De Morgen publiait pour sa part, en couverture, une photo aigre-douce : on y voit les membres du gouvernement régional, réunis en conseil de crise, posant pour un portrait de famille. Entre chaque député, un mètre de distance…

Mieux vaut en rire.