(Cité du Vatican) En fermant la porte cette semaine aux prêtres mariés et aux femmes diacres en Amazonie, le pape argentin a apaisé l’ire des traditionalistes qui l’attaquent souvent avec virulence mais aussi déçu les progressistes qui attendaient un tournant historique.

Dans une « exhortation apostolique » publiée mercredi, intitulée « Chère Amazonie », François a livré un message divisé en « rêves » pour l’Amazonie, parsemé de poèmes latino-américains, mais vide de propositions pour remédier à une criante pénurie de prêtres sur ce territoire.

Après trois semaines de débats au Vatican, une assemblée d’évêques des neuf pays amazoniens avait demandé en octobre au pape d’ordonner prêtres des autochtones ayant une vie maritale stable (les « viri probati »). Une telle dispense existe pour les pasteurs anglicans mariés, convertis au catholicisme.

Pour nombre d’experts, le réformateur Jorge Bergoglio aurait manqué d’audace et cédé aux sirènes des conservateurs, afin de ne pas aggraver les divergences avec ses opposants, dont certains agitent la menace d’un schisme.

Jorge Bergoglio a surtout confirmé un profond attachement personnel à la règle du célibat des prêtres et il a concentré son message sur les peuples autochtones d’Amazonie menacés par des entreprises prédatrices, parfois criminelles, et insensibles à l’écologie.

Le cardinal allemand Gerhard Müller — qui a occupé durant cinq ans le poste clé de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (chargé du dogme) mais n’a pas été reconduit par le pape en 2017 — s’est réjoui d’un texte de « réconciliation », à même de « réduire les factions internes de l’Église ».  

Pour ce prélat ultraconservateur devenu un opposant notoire au pape, François n’a heureusement pas cédé à la solution « trop pragmatique » des « viri probati », rappelant que seuls les prêtres ayant renoncé au mariage sont habilités à donner la communion.  

Le spécialiste italien du Vatican Marco Politi juge que le pape « a été freiné brusquement » par une opposition forte et multiforme, ce qui marque « un échec dans l’élan réformateur du pontificat ». « François se retrouve aujourd’hui plus seul, ayant suscité une désillusion auprès d’une masse notable de ses soutiens », ajoute M. Politi.

Le cardinal brésilien Claudio Hummes, président du REPAM (le réseau ecclésial panamazonien) estime que la question des « viri probati » reste ouverte et pourra encore être discutée avec le Saint-Siège.  

Un thème brûlant en Allemagne

Mais à la veille de la publication du texte papal, l’un des grands soutiens des réformes de François, le cardinal Reinhard Marx, a annoncé son prochain départ de la tête de l’Église catholique allemande. « Il a dû comprendre que s’était ouverte une phase de stagnation dans le réformisme du pontificat », spécule Marco Politi.

L’Église allemande, qui compte une importante branche progressiste, vient de lancer un débat — étalé sur deux ans — qui porte notamment sur la fin du célibat des prêtres et la place des femmes. Une exception pour l’Amazonie aurait donné des ailes à l’Allemagne, craignaient les traditionalistes.

Le synode sur l’Amazonie avait aussi voté en faveur d’une reconnaissance plus officielle du rôle crucial joué par les femmes laïques pour propager la foi en Amazonie, en leur conférant des fonctions spécifiques, voire un jour un « diaconat permanent » réservé actuellement aux hommes. Les diacres, qui peuvent être mariés, sont ordonnés pour prononcer le sermon à la messe, célébrer baptêmes, mariages et funérailles.

Or dans sa réponse, le pape a certes évoqué l’accès des femmes à des « fonctions » et « services ecclésiaux », mais sans ordination, excluant ainsi leur accès au diaconat.

Selon l’organisation Women’s Ordination Worldwide (WOW), qui se bat pour l’accès des femmes à la prêtrise, « François a choisi de préserver un honteux club masculin élitiste », maintenant dans « un statut de seconde classe les femmes qui font une grande partie du travail sans reconnaissance ».

Le pape « tourne le dos aux femmes », a renchéri une organisation sœur, Women’s ordination conference, en critiquant l’usage par le pape de « métaphores démodées » réduisant les femmes à des épouses.

Sans surprise, la focalisation du pape sur les maux de l’Amazonie, a fait un autre mécontent : le président brésilien Jair Bolsonaro. « Le pape François a dit que l’Amazonie était à lui, qu’elle était à tout le monde. Le pape est argentin, mais Dieu est brésilien », a-t-il lancé.