(Berlin) Pour la première fois, le chef d’un État régional allemand a été élu mercredi grâce aux voix coalisées de l’extrême droite et de la droite modérée du parti d’Angela Merkel, faisant tomber un tabou dans l’histoire de la République fédérale d’Allemagne.

La direction nationale du mouvement conservateur de la chancelière a immédiatement condamné cette alliance et a demandé la convocation de nouvelles élections.

À la surprise générale, c’est le candidat du petit parti libéral FDP, Thomas Kemmerich, qui a été désigné à une très courte majorité pour diriger la Thuringe, État régional de l’ex-RDA où la gauche radicale était pourtant arrivée en tête lors d’élection en octobre, devant l’extrême droite.

Mais, pour y parvenir, M. Kemmerich, 54 ans, a bénéficié du soutien surprise des voix de tous les élus du parti anti-migrants et anti-élites Alternative pour l’Allemagne (AfD), et de celles de la plupart des membres du parti conservateur (CDU) d’Angela Merkel.

Tollé

« C’est la première fois dans l’histoire de la République fédérale d’Allemagne, qu’un ministre-président d’État régional est élu avec les voix de l’AfD », a souligné le politologue allemand Andre Brodocz.

Jusqu’ici, et contrairement à ce qui s’est passé en Autriche, les partis traditionnels de droite et de centre droit en Allemagne, comme la CDU ou le FDP, refusait toute coopération ou alliance avec l’extrême droite.  

Avec cette élection, ces deux formations se retrouvent en position fort embarrassante.  L’affaire suscite un tollé dans le pays. Plusieurs manifestations spontanées ont été organisées à Berlin devant les sièges de la CDU et du FDP mais aussi en Saxe ou devant le Parlement de Thuringe.

Un des protestataires a brandi un panneau faisant le parallèle avec l’arrivée des nazis au pouvoir : « 1930, premier ministre du NSDAP (parti de Hitler, NDLR) en Thuringe, 2020 premier ministre élu avec les voix de l’AfD ».

Clarifications demandées

La coprésidente de la gauche radicale Katja Kipping a estimé que « la République (était) en danger ». Lors de l’investiture du vainqueur du jour en Thuringe, une élue de ce parti a jeté aux pieds de Thomas Kemmerich un bouquet de fleurs avant de tourner les talons, en signe de protestation.

Les sociaux-démocrates du SPD, partenaires minoritaires des conservateurs au sein du gouvernement national, ont demandé immédiatement des explications à Angela Merkel, brandissant même la menace d’une fin de la coalition.  

Elles n’ont pas tardé : la direction nationale du parti de la chancelière a rappelé à l’ordre ses instances de Thuringe et demandé la tenue de nouvelles élections.

Le secrétaire général du parti, Paul Ziemiak, a accusé la CDU régionale d’avoir « enfreint » les règles édictées au plan national en mêlant leurs votes à ceux « de nazis ».

Afin de discuter des conséquences de cette élection, une réunion de crise entre représentants des deux partis du gouvernement doit avoir lieu samedi à Berlin.

Car le séisme de Thuringe illustre la tentation grandissante de l’aile la plus à droite du parti de la chancelière, notamment dans l’ex-RDA, d’une coopération avec l’extrême droite en plein essor électoral. Un succès qui se fait aux dépens de la CDU notamment.

Certains membres de la CDU ont dernièrement milité ouvertement pour une telle alliance au plan régional, alors même que la chancelière est la cible politique principale de l’AfD après sa décision en 2015 de laisser entrer des centaines de milliers de migrants.

Le vote de Thuringe a d’autant plus choqué qu’il intervient dans une région où l’AfD est dirigée par son aile la plus radicale, sous la houlette de Björn Höcke.  

Ce dernier s’est singularisé dans le passé notamment en prônant la fin de la culture de repentance pour les crimes nazis, pourtant un pilier de la politique allemande d’après-guerre.

Chef de file des « durs » de l’AfD, Björn Höcke s’est félicité du « nouveau départ politique en Thuringe », espérant qu’il s’agisse d’un signal qui sera « remarqué » dans tout le pays.