(Berlin) Un ex-traducteur germano-afghan de l’armée allemande et son épouse, accusés d’avoir espionné pour le compte de l’Iran, ont comparu lundi au premier jour d’un procès placé sous le signe du secret d’État.

L’homme, identifié comme Abdul S., 51 ans, est soupçonné de « trahison dans un cas particulièrement grave et violation de secrets professionnels dans 18 cas », indique le tribunal de grande instance de Coblence (centre-ouest).

Les journalistes et le public exclus des audiences

Public et médias n’ont pas été autorisés à écouter l’énoncé complet de l’acte d’accusation pour « des raisons de sécurité de l’État », selon les mots du président du Tribunal Thomas Bergmann, qui leur a prié de quitter la salle peu après l’ouverture de l’audience.

Le procès, qui doit durer jusqu’à la fin mars, sera régulièrement entrecoupé de telles phases de huis clos.

Incarcéré depuis un an, l’accusé risque la perpétuité, soit au moins 15 ans de prison en Allemagne. Son épouse Asiea S., 40 ans, est jugée avec lui sous l’accusation de « complicité de trahison ». Elle risque jusqu’à onze ans de prison.  

PHOTO THOMAS FREY, AGENCE DPA, VIA AFP

Asiea S. portait la tuque, un foulard et des lunettes fumées dans le box des accusés, avant que les médias et le public soient exclus de la salle d’audience ce matin au tribunal de Koblenz. Elle est accusée de complicité dans l’affaire d’espionnage impliquant son mari.

Contrairement à son mari, cette femme également germano-afghane n’est pas incarcérée.  

« Elle aurait réalisé pour lui de petites tâches d’organisation », a expliqué lundi le procureur Ullrich Schultheis cité par l’agence de presse DPA, tel que l’envoi de courriels avec codes pour carte SIM des téléphones destinés aux contacts iraniens ou adresses d’hôtel.

Secrets militaires transférés à l’Iran

Le couple ne s’est pas exprimé jusqu’ici sur les faits qui lui sont reprochés et a de nouveau gardé le silence lundi. Selon leur avocat Ulrich Sommer, l’acte d’accusation ne reposerait sur aucune « preuve directe ».

L’accusé, détenteur de la double nationalité allemande et afghane, est soupçonné d’avoir, en sa qualité de traducteur employé par l’armée allemande, « transféré des secrets d’État à caractère militaire à des collaborateurs du service du renseignement iranien », selon l’acte d’accusation rendu public du parquet fédéral, compétent dans les affaires de terrorisme et d’espionnage.

PHOTO THOMAS FREY, AGENCE DPA, VIA AFP

Le procureur Ulrich Schultheiss affirme que Abdul S. a reçu 60 000 euros (87 000 $) pour avoir transmis aux services d’espionnage iraniens des secrets militaires, dont certaines « informations explosives ».

Pour ses services, il aurait reçu des honoraires de plus de 60 000 euros (87 000 dollars canadiens).

Employé comme civil, il travaillait depuis de nombreuses années comme traducteur, mais aussi conseiller culturel et linguistique à la caserne Heinrich Hertz à Daun, près de Coblence.

Accès à des communications des talibans

Selon le magazine Der Spiegel, le cas est particulièrement délicat pour la Bundeswehr (l’armée allemande) car l’homme collaborait à une unité spécialisée dans la guerre électronique, pour laquelle il traduisait des enregistrements téléphoniques ou des messages radio des talibans interceptés en Afghanistan.

Les enquêteurs jugent toutefois « peu probable qu’il ait pu faire passer des informations secrètes sur les troupes allemandes sur place ».

Averti par « un service secret allié », le service de contre-espionnage militaire allemand MAD a commencé à le soupçonner en 2017 d’être un informateur. Il avait remarqué que ses voyages dans certains pays européens coïncidaient avec ceux de responsables des services secrets iraniens.

Piégé

Pour le démasquer, ils lui ont donné accès à plusieurs documents soi-disant confidentiels, mais fabriqués de toutes pièces, qu’il se serait empressé de remettre à ses contacts, assure Der Spiegel.

L’Iran est l’un des pays les plus actifs en matière d’espionnage dans le pays, aux côtés de la Russie et de la Chine, selon un rapport du renseignement intérieur allemand.

Les services secrets iraniens sont « régulièrement à la recherche de sources appropriées pour couvrir les besoins d’informations du régime », souligne-t-il.

Dans son passé récent, l’Allemagne a connu quelques affaires d’espionnage retentissantes. En 2016, Markus Reichel, un ex-agent des services secrets allemands, avait été condamné à 8 huit ans de prison pour « haute trahison » après avoir été reconnu coupable de collaboration avec la CIA et la Russie.

En 2011, la justice avait aussi condamné à des peines de prison un couple marié soupçonné d’avoir espionné pour les services secrets russes pendant plus de 20 ans.