(Istanbul) Le plus haut tribunal de Turquie a jugé légale mardi la détention prolongée de l’homme d’affaires et philanthrope Osman Kavala, un membre important de la société civile emprisonné depuis plus de trois ans sans avoir été condamné.

La Cour constitutionnelle a estimé que la détention de M. Kavala ne représentait « pas une violation » de ses droits, déboutant ainsi le mécène qui voulait faire annuler son emprisonnement, selon l’agence de presse étatique Anadolu.

Signe de la division entre les membres de cette institution sur cette question, la décision a été prise par huit voix contre sept, a ajouté Anadolu.

Écroué depuis 2017, M. Kavala est accusé de tentative de coup d’État et d’espionnage, ce qu’il nie catégoriquement, et risque la prison à vie.

Dans une déclaration faite depuis sa prison dans la banlieue d’Istanbul, M. Kavala a estimé que cette décision de la cour avait été inspirée par des considérations politiques et qu’elle était « extrêmement inquiétante » pour l’État de droit en Turquie.

« Le fait que la cour ait jugé légales des accusations portées contre moi qui ne reposent sur aucune preuve n’a pas de sens commun », a-t-il affirmé.

Né à Paris et âgé de 63 ans, M. Kavala, une figure respectée de la société civile en Turquie, est connu pour son soutien aux projets culturels portant sur les droits des minorités, la question kurde et la réconciliation arméno-turque.

Acquitté en février lors d’un premier procès où il était accusé d’avoir financé des manifestations antigouvernementales en 2013, il avait immédiatement été replacé en détention dans le cadre d’une autre enquête liée à la tentative de coup d’État de juillet 2016.

Au terme de la première audience de ce nouveau procès le 18 décembre, un tribunal d’Istanbul avait ordonné le maintien en détention de M. Kavala.

Lors de cette audience, M. Kavala avait estimé que son long emprisonnement, en dépit d’un acquittement, était une forme de « torture mentale ».  

Les partisans de M. Kavala, qui dénoncent des accusations « absurdes », espéraient pourtant que le philanthrope serait libéré, alors que le président Recep Tayyip Erdogan a promis le mois dernier de mener des réformes judiciaires afin de « renforcer l’État de droit ».

« Jour de honte »

La décision de la Cour constitutionnelle mardi « marque un jour de honte et jette une ombre sur la justice turque moribonde, tout en soulignant son manque d’indépendance », a déclaré à l’AFP Milena Buyum, chargée de campagne sur la Turquie à Amnistie internationale.

« La Cour constitutionnelle creuse un peu plus sa propre tombe », a renchéri sur Twitter Emma Sinclair-Webb, directrice de Human Rights Watch en Turquie. Sa décision est « un affront flagrant à la Cour européenne des droits de l’Homme » qui avait ordonné sa libération, a-t-elle ajouté.

L’incarcération de M. Kavala est devenue l’un des symboles des pressions qui se sont multipliées contre la société civile en Turquie, en particulier depuis le putsch avorté de 2016 qui a été suivi d’une répression tous azimuts.

Le Conseil de l’Europe, dont la Turquie fait partie, a réclamé la libération de M. Kavala, en application de la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme estimant que son incarcération visait à le « réduire au silence ».

Après son maintien en détention le 18 décembre, le rapporteur du Parlement européen sur la Turquie, Nacho Sanchez Amor, avait exprimé sa « déception », estimant que la justice turque avait « manqué une nouvelle opportunité » de se conformer aux décisions de la CEDH.

Le président Erdogan a plusieurs fois publiquement attaqué M. Kavala, l’accusant de « financer les terroristes » et d’être le « représentant en Turquie » du milliardaire américain George Soros, bête noire de plusieurs dirigeants autoritaires dans le monde.