(Londres) C’est la première fois que la justice britannique reconnaît le rôle de la pollution de l’air dans un décès : elle a estimé mercredi qu’elle avait « contribué » à la mort d’une fillette de neuf ans à Londres.

La famille d’Ella Adoo-Kissi-Debrah, décédée le 15 février 2013 d’une grave crise d’asthme, espère que cette décision très attendue convaincra les autorités d’agir.  

« La pollution de l’air a constitué une contribution matérielle dans la mort d’Ella », a déclaré le coroner adjoint de l’arrondissement londonien de Southwark, Philip Barlow, l’agent de justice chargé de mener les deux semaines d’audiences consacrées à cette affaire.

La petite fille vivait à Lewisham, à moins de 30 mètres du South Circular, une voie très empruntée du sud londonien.  

Dioxyde d’azote et de particules

« Au cours de sa maladie entre 2010 et 2013, elle a été exposée à des niveaux de dioxyde d’azote et de particules dépassant les directives de l’Organisation mondiale de la santé », a souligné M. Barlow. Sa mère Rosamund Adoo-Kissi-Debrah « n’a pas été informée des risques pour la santé » et n’a donc pas pris de mesures qui « auraient pu empêcher son décès », comme un déménagement.

Lors d’une conférence de presse mercredi, cette dernière s’est félicitée d’avoir obtenu « justice » pour Ella, tout en soulignant qu’elle se battait aussi pour « les autres enfants ».

Cette enseignante espère le vote d’une nouvelle loi destinée à améliorer la qualité de l’air au Royaume-Uni.

Rappelant que selon l’OMS, la pollution tue sept millions de personnes par an dans le monde, elle a regretté que le sujet ne soit « pas traité en tant qu’urgence sanitaire comme cela devrait l’être ».

« Lien frappant »

Ella était une fillette sportive et musicienne qui rêvait de devenir pilote d’avion. Son état de santé s’était dégradé les années précédant sa mort, provoquant des hospitalisations à répétitions.

En 2014, un an après son décès, la justice a déterminé qu’elle était morte d’une insuffisance respiratoire aiguë causée par un asthme sévère, et non à cause de la pollution.

Mais ces conclusions ont été annulées en 2019 et la tenue d’une nouvelle série d’audiences a été ordonnée en raison de nouveaux éléments scientifiques, et notamment le rapport d’un spécialiste britannique de la pollution de l’air, Stephen Holgate, en 2018.

Ce dernier avait noté un « lien frappant » entre les hospitalisations en urgence d’Ella et les pics enregistrés de dioxyde d’azote (NO2) et de particules en suspension, les polluants les plus nocifs, à proximité de son domicile.

Dans son jugement, Philip Barlow a établi les causes de la mort comme étant en premier une insuffisance respiratoire aiguë, en deuxième l’asthme dont souffrait la fillette et en troisième l’exposition à la pollution, qui a à la fois déclenché et aggravé sa maladie.

Éviter d’autres morts

Pendant les audiences, la défense de la famille de la fillette a accusé les autorités du quartier de Lewisham d’avoir tardé à prendre des mesures contre la pollution dont les niveaux grimpaient.  

Un représentant de ce conseil avait reconnu une lenteur à agir.

Pour l’avocate de la famille d’Ella, Jocelyn Cockburn, cette affaire a révélé l’« énorme échec » des autorités à considérer les effets de la pollution sur la vie des gens.

« Ce jugement doit conduire à des actes, et il faut une action gouvernementale concertée pour s’assurer que des vies soient sauvées de la pollution de l’air », a-t-elle ajouté.

Entre 28 000 et 36 000 décès survenant au Royaume-Uni chaque année sont estimés être liés à la pollution de l’air.

Le maire travailliste de Londres, Sadiq Khan, a qualifié d’« historique » la décision de justice. Accusant son prédécesseur, Boris Johnson, et le gouvernement d’avoir agi « trop lentement dans le passé », il les a poussés à « tirer les leçons » et faire « beaucoup plus » pour améliorer la qualité de l’air.

Dans la capitale britannique, une « zone à ultra basse émission » (ULEZ) contraint depuis l’an dernier les conducteurs des véhicules les plus polluants à s’acquitter d’une taxe quotidienne à son entrée.

Philip Barlow doit publier un rapport le mois prochain pour éviter d’autres décès liés à la pollution, et le gouvernement devrait y contribuer.