(Strasbourg) Deux ans après, Strasbourg a rendu hommage vendredi aux cinq morts de l’attentat djihadiste perpétré par Chérif Chekatt sur son célèbre marché de Noël mais aussi aux dizaines de blessés qui, atteints dans leur chair ou psychologiquement, se reconstruisent difficilement.

« Toutes et tous, nous nous souvenons de ce 11 décembre 2018 aux alentours de 20 h quand l’horreur est venue frapper notre quotidien, briser ce que nous avions de plus précieux », a déclaré la maire (EELV) de Strasbourg, Jeanne Barseghian.

Réunis autour de la stèle commémorative érigée après l’attentat pour cette cérémonie non ouverte au public, les victimes, leurs familles et les officiels ont écouté résonner à de nombreuses reprises les noms des cinq hommes tués dans l’attentat.

« Vos noms sont devenus les noms de notre douleur, vos visages, les visages d’une ville, d’un pays tout entier meurtris », a déclaré la préfète de la région Grand Est Josiane Chevalier.

Le 11 décembre, peu avant 20 h, Chérif Chekatt, délinquant multirécidiviste de 29 ans et fiché S pour radicalisation islamiste, pénètre, armé d’un vieux revolver et d’un couteau, dans le centre historique de Strasbourg, où se tient le traditionnel marché de Noël. Il tue au hasard cinq hommes en déambulant dans les rues et blesse dix autres personnes. De nombreuses autres subissent des chocs psychologiques.

Parvenant à s’échapper en taxi, après avoir été blessé par des militaires, il sera tué par la police 48 heures plus tard dans un quartier du sud de Strasbourg où il avait grandi. Une vidéo d’allégeance au groupe État islamique sera retrouvée sur une clé USB qui lui appartenait.

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L'auteur de l'attentat, Chérif Chekatt

Long chemin

« Le combat de la reconstruction est un très long chemin qui nécessite un travail profond sur soi-même », a déclaré au micro Mostafa Salhane, le chauffeur en taxi pris en otage par Chérif Chekatt au moment de sa fuite.

« La cicatrice se referme lentement, mais à chaque fois que la barbarie frappe notre pays, nos plaies saignent à nouveau », a poursuivi celui qui préside désormais l’Association Victimes Attentats, évoquant les récentes attaques de Conflans-Sainte-Honorine et de Nice.

Au total, 78 personnes sont considérées comme victimes de l’attentat de Strasbourg, incluant les proches des personnes décédées, les victimes blessées et celles choquées. Depuis le 1er janvier 2020, près de 500 suivis sont encore réalisés par les associations d’aide aux victimes.

Les traumatismes du terrorisme « s’apparentent à des traumatismes de guerre » et « ces traumatismes doivent être traités dans l’instant et dans le temps », car « les victimes d’attentats terroristes mettent très longtemps à avoir une situation [psychologique] consolidée », a souligné Frédérique Calandra, déléguée interministérielle à l’aide aux victimes, venue à Strasbourg pour cette commémoration.

Après le 11 décembre 2018, Mostafa Salhane n’est plus jamais remonté dans son taxi. Il a perdu sa société d’import d’épices et a rencontré des difficultés familiales.

Avec le temps, « il y a des améliorations sur le côté psychologique, je vais un peu mieux, j’arrive mieux à m’exprimer », à confié à l’AFP celui dont le témoignage a été essentiel pour identifier le terroriste en fuite.

Mais « je ne suis pas encore guéri, je ne travaille plus, je ne retournerai plus jamais dans le taxi, c’est fini, je ne peux plus m’exposer. J’ai tout perdu aujourd’hui », ajoute-t-il.

Procès en 2023 ?

« Il y a travail qui est fait, mais à tout moment on peut flancher. […] Il faut vraiment qu’il y ait un suivi psychologique au moins jusqu’au procès », considère Mostafa Salhane.

Chérif Chekatt a agi seul mais l’enquête sur l’attentat de Strasbourg se poursuit. Cinq personnes sont mises en examen, soupçonnées d’être liées à la fourniture de différentes armes en possession du tueur, dont trois hommes issus d’une même communauté de gens du voyage sédentarisée, remis en liberté sous contrôle judiciaire il y a quelques mois.

Aucune d’entre elles n’appartient à la sphère islamiste et tous affirment n’avoir eu aucune connaissance du projet terroriste de Chérif Chekatt.

« L’enquête, qui explore notamment tout le passé et l’entourage du tueur, va probablement durer jusqu’en 2022, et un procès pourra difficilement avoir lieu avant 2023 », a estimé auprès de l’AFP une source proche du dossier.