(Bruxelles) Le départ du Royaume-Uni constitue une perte indéniable pour l’Union européenne, mais cette rupture avec un partenaire historiquement méfiant pourrait être une chance d’aller de l’avant pour l’alliance des Vingt-Sept, selon des experts.

Avec le Brexit, c’est la deuxième économie du continent, après l’Allemagne, qui prend la porte, mais aussi l’une des deux grandes puissances militaires, avec la France, dotée de l’arme nucléaire.  

Un divorce après 47 ans d’un mariage tumultueux qui pourrait toutefois faire avancer la politique de défense commune.

« La Grande-Bretagne n’a jamais été favorable à l’émergence d’une sécurité européenne autonome. Elle a toujours défendu le rôle principal de l’OTAN », souligne Pierre Vimont, chercheur associé à Carnegie Europe.  

« Or, après le référendum sur le Brexit, c’est précisément le moment où l’Europe de la défense a commencé à émerger », note-t-il.

Dans le domaine de la politique étrangère, Londres ne devrait pas s’éloigner des positions européennes sur les grandes questions comme le nucléaire iranien, la Russie ou le Proche-Orient.

Dernier exemple de cette proximité, l’Iran avec le retour des sanctions de l’ONU contre Téhéran proclamé unilatéralement en septembre par Washington qui s’est heurté à un front uni de Paris, Berlin, mais aussi du Royaume-Uni de Boris Johnson.  

Le facteur Biden

« Londres voudra continuer à avoir une relation privilégiée avec la France et l’Allemagne et le couple franco-allemand ne souhaite pas rompre avec elle. Son espoir, c’est de rentrer par la fenêtre aux réunions des diplomates européens », selon Pierre Vimont, ancien représentant de la France auprès de l’UE.

« Les Britanniques tourneront autour de l’UE pour avoir soit des relations bilatérales, soit tenter d’établir des liens avec des groupes de pays » comme celui de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie), présume-t-il.

L’arrivée d’un nouveau président américain en janvier, Joe Biden, qui était opposé au Brexit, est aussi un facteur à prendre en compte. « Il sera moins enclin que Trump à diviser les Européens », estime Eric Maurice de la Fondation Schuman.

Sur le plan économique, accord post-Brexit ou pas, les relations risquent en revanche d’être plus chaotiques. Mais la conclusion d’un accord « historique » sur le plan de relance post-Covid créant une dette européenne commune, aurait été un défi impossible à relever dans une Europe à 28.

« Avec les Britanniques on n’en aurait même pas parlé, ils auraient tout de suite dit “non”. Les Européens ont un peu plus de possibilités d’avancer », estime l’historien Robert Frank qui a consacré un livre aux relations anglo-européennes.

La relation commerciale va aussi « changer fondamentalement » entre Londres et le marché unique avec des contrôles douaniers, plus de paperasserie et un allongement des délais dans la chaîne de production pour des secteurs très imbriqués, comme l’automobile ou l’industrie chimique.

« Les retombées seront inégales », touchant plus particulièrement la Belgique, l’Irlande, l’Allemagne, les Pays-Bas, et la France dans une moindre mesure, prévoit Jannike Wachowiak de l’European Policy Centre (EPC). « Globalement, le choc économique affectera davantage le Royaume-Uni, l’Union européenne devrait mieux l’absorber », selon l’économiste.

Le Royaume-Uni voyait avant tout l’Europe comme un grand marché et il est resté en dehors de nombreuses politiques d’intégration (accord de Schengen de libre circulation ou monnaie unique).

Son apport à la construction communautaire aura surtout été celui d’une Europe libérale. « Avec la pandémie, on s’est aperçu que l’État était finalement nécessaire et on s’éloigne de cette vision ultralibérale que beaucoup d’eurosceptiques dénonçaient », souligne Robert Frank.

« Yoyo »

La brutalité de la crise a en tout cas permis un sursaut d’unité des Européens à l’été même si la Pologne et la Hongrie jouent aujourd’hui les trouble-fêtes. Mais une fois la crise passée, d’autres pays seront-ils tentés de suivre l’exemple britannique ?

« Il y aura des tensions avec les pays de l’Est » et d’autant plus si le Royaume-Uni « s’en sort bien », prévoit l’ex-eurodéputé britannique Andrew Duff (libéral démocrate).  

Mais pour l’heure, Varsovie comme Budapest, qui profitent largement des financements européens, se sont bien gardés d’agiter la menace d’une sortie, d’autant plus que leurs opinions publiques sont favorables au maintien de leurs pays dans l’UE.

Le divorce du 1er janvier 2021 sera un nouveau chapitre de l’histoire mouvementée entre l’île et le Vieux Continent, mais peut-être pas le dernier.

« Depuis des siècles, ils sont tantôt “in”, tantôt “out”. Le yoyo va continuer, sauf si l’Europe capote. Si grâce au Brexit elle peut se réformer et mieux fonctionner, on peut compter sur leur pragmatisme pour dire “on revient ! ” », imagine Robert Frank.