(Paris) Quatre ans de prison, dont deux ferme, ont été requis mardi contre l’ancien président français Nicolas Sarkozy, jugé pour corruption et trafic d’influence, dans un procès inédit en France.

À l’issue de près de cinq heures d’un réquisitoire méthodique et aride, le procureur financier Jean-Luc Blachon a demandé les mêmes peines pour les deux autres accusés dans ce procès, l’ex-haut magistrat Gilbert Azibert et Thierry Herzog, avocat historique de l’ancien président, demandant pour ce dernier qu’elle soit assortie de cinq ans d’interdiction professionnelle.

« Les faits ne se seraient pas produits si un ancien président, avocat par ailleurs, avait gardé présent à l’esprit la grandeur, la responsabilité, et les devoirs de la charge qui fut la sienne », a lancé le procureur.

« La République n’oublie pas ses présidents, ne serait-ce que parce qu’ils font l’Histoire. À l’inverse, on ne peut pas admettre d’un ancien président qu’il oublie la République et ce qu’elle porte depuis plusieurs décennies : un État de droit », a poursuivi M. Blachon.

Dénonçant les « effets dévastateurs de cette affaire qui vient cogner les valeurs de la République », le magistrat financier a estimé qu’elle avait « abîmé » l’institution judiciaire, la profession d’avocat et l’image présidentielle.

Au lendemain des fermes dénégations de Nicolas Sarkozy à la barre, les deux représentants de l’accusation ont entamé en milieu d’après-midi la démonstration du « pacte de corruption » noué selon eux début 2014 entre les trois hommes.  

L’ancien président (2007-2012) est soupçonné d’avoir conclu un « pacte de corruption » en 2014, en obtenant des informations protégées par le secret, via son avocat Thierry Herzog, auprès du haut magistrat Gilbert Azibert, sur un pourvoi à la Cour de cassation.

Ce dernier est aussi soupçonné d’avoir tenté d’influer sur la procédure, en échange de la promesse d’un « coup de pouce » pour un poste à Monaco — qu’il n’a finalement jamais eu.

S’appuyant sur des pièces du dossier projetées sur un écran de la salle d’audience, les procureurs financiers ont décrit un « entrisme au sein de la plus haute juridiction judiciaire » et une « dissimulation » par « l’utilisation de lignes téléphoniques occultes ».

Selon eux, Nicolas Sarkozy a bien obtenu, via son avocat, des informations couvertes par le secret auprès de Gilbert Azibert, au sujet d’une procédure à la Cour de cassation dans un autre dossier, l’affaire Bettencourt.  

« Pas une vengeance »

Pour preuves : des conversations enregistrées sur une ligne officieuse. Il est établi « de façon certaine » que le haut magistrat, alors avocat général d’une chambre civile de la plus haute juridiction judiciaire et « homme de réseaux », a récupéré et transmis des « informations confidentielles » à son ami Thierry Herzog, a affirmé l’autre procureure, Céline Guillet.  

La procédure a été « viciée » par cette « violation du secret du délibéré », un secret qui est protégé « de façon absolue », a-t-elle insisté.

La contrepartie ? Une conversation montre « de façon accablante » que Nicolas Sarkozy a promis d’intervenir en faveur de Gilbert Azibert pour un poste à Monaco, a-t-elle souligné. Et peu importe que ce dernier n’ait jamais été nommé : « la seule promesse clairement formulée […] suffit à caractériser les deux infractions » de corruption et trafic d’influence.

Avant ces réquisitions et après plusieurs jours de débats tendus, le chef du parquet national financier (PNF) Jean-François Bohnert était venu en personne en « soutien » à ses deux collègues.  

« Personne ici ne cherche à se venger d’un ancien président de la République », a déclaré M. Bohnert, répondant aux nombreuses critiques contre le PNF des derniers mois et sa remise en cause par la droite.  

Alors que l’audience était levée, Nicolas Sarkozy a quitté la salle sans faire de déclaration, laissant ce soin à son avocate Jacqueline Laffont.  

Ces réquisitions sont « en décalage total » avec les débats, pendant lesquels le parquet a été « muet » et « chaque jour mis devant les failles, l’inexistence et la vacuité » de son accusation, a brocardé Me Laffont.  

Son client est « en pleine confiance » et il sera « très facile » de « démonter » ces réquisitions, a-t-elle assuré.

Les plaidoiries de la défense sont prévues mercredi et jeudi.