(Washington) L’annonce d’une rencontre à la Maison-Blanche entre les dirigeants de la Serbie et du Kosovo a suscité les spéculations sur les intentions américaines. Mais Washington défend, avant le sommet de jeudi et vendredi, une approche purement économique sans promettre de grand accord politique.

La présence même de Donald Trump n’est pas assurée pour jouer les médiateurs entre le premier ministre kosovar Avdullah Hoti et le président serbe Aleksandar Vucic.

C’est le bouillonnant conseiller spécial du président américain pour les négociations serbo-kosovares, Richard Grenell, qui jouera les maîtres de cérémonie.

Mais aux États-Unis, on s’interroge sur la capacité américaine à relancer un dialogue enlisé et à résoudre un des plus épineux conflits territoriaux européens.

Belgrade refuse de reconnaître l’indépendance proclamée en 2008 par le Kosovo après la guerre de la fin des années 1990, qui a fait 13 000 morts. Et il est soutenu par ses alliés russe et chinois, tandis que les Américains figurent parmi ceux qui avaient immédiatement reconnu le nouvel État.

Jusqu’ici, les Européens ont été en première ligne dans la médiation.

Après avoir péniblement repris en juillet, le processus doit se poursuivre avec une réunion lundi à Bruxelles entre Aleksandar Vucic, Avdullah Hoti et le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, a annoncé mercredi l’Union européenne.

D’où l’inquiétude de voir une administration Trump en froid avec le Vieux Continent faire irruption.

« C’est clairement une manœuvre unilatérale pour reprendre en main les négociations sans réelle coordination avec l’Europe », dit à l’AFP une ex-diplomate américaine spécialiste du dossier, qui a requis l’anonymat. « Or, pour avoir une chance d’avancer dans les Balkans, il faut que les États-Unis et l’Europe travaillent main dans la main sur un objectif commun. »

« Normalisation économique »

Selon elle, les raisons d’être sceptique sont nombreuses.

D’abord, peu d’observateurs prêtent à l’administration Trump le travail technique préparatoire permettant d’aboutir à un accord solide, et beaucoup voient là une manifestation de l’activisme un peu désordonné de Richard Grenell, un trumpiste de choc.

Ensuite, même en cas d’accord, le diable sera dans les détails de sa mise en œuvre, et là aussi, la crainte est que Washington s’en désintéresse rapidement.

Enfin, les rumeurs ont circulé d’un « échange de territoires » que les Américains voudraient faire accepter à la Serbie et au Kosovo, qui compte une importante minorité serbe. Ce serait un précédent risqué dans une région où les velléités sécessionnistes sont légion.

Le sommet américain était initialement prévu en juin, mais il avait été repoussé après la mise en accusation du président kosovar Hashim Thaci par la justice internationale pour crimes de guerre.

A l’époque déjà, Richard Grenell avait dû monter au créneau pour prévenir qu’aucun grand accord politique n’était à attendre.

« Les discussions politiques sont dans l’impasse, et on ressasse les mêmes questions sans vraiment avancer », a dit mardi à des journalistes un conseiller spécial du président Trump. « On va renverser le scénario, donner d’abord aux gens un peu d’espoir au sujet de la croissance économique, et réserver certaines questions politiques pour un second temps. »

Le conseiller a fermement démenti toute implication dans d’éventuelles discussions sur un échange de territoires.

Washington assure vouloir avancer sur des accords bilatéraux au sujet des transports aérien, ferroviaire et routier pour « développer les échanges », sans prédire l’issue du sommet.

Selon cette « vision » américaine, un règlement politique de la crise ne pourra intervenir qu’une fois que les populations auront constaté les dividendes économiques d’une meilleure entente.

Richard Grenell affirme être au diapason avec la France et l’Allemagne et prône un processus en deux phases : la « normalisation économique » promue par les États-Unis, puis l’accord politique, toujours sous l’égide des Européens.

Pour l’ex-diplomate américaine interrogée par l’AFP, « l’intention de Grenell, c’est de bricoler un succès rapide sur les questions économiques qu’il puisse présenter comme une victoire diplomatique » à deux mois de la présidentielle à laquelle Donald Trump briguera un second mandat.

Sa tâche s’annonce quoi qu’il en soit ardue.

Tout en reconnaissant le caractère économique des discussions, le premier ministre kosovar a rappelé que son intention restait de réclamer « la reconnaissance réciproque », condition préalable à toute « normalisation des relations ».

« Nous acceptons le débat, mais nous n’accepterons jamais le chantage », a prévenu de son côté le président serbe avant d’aller à Washington, en assurant qu’il refuserait de rencontrer Donald Trump et Avdullah Hoti s’il flairait une mauvaise « surprise ».